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La France aura-t-elle assez d’électricité en 2050 ?

  • Publié le 23 mai 2021
Georges SAPY
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La France aura-t-elle assez d’électricité en 2050 ?



 La consommation énergétique de la France en 2050 est un sujet majeur qui suscite de très nombreux scénarios et débats. Le sujet l’est d’autant plus qu’il va devoir s’accompagner d’une profonde révolution énergétique imposée par la lutte contre le réchauffement climatique : abandonner toutes les énergies fossiles émettrices de CO2 (charbon, pétrole, gaz naturel) pour ne conserver que des énergies primaires non carbonées.

Or, en 2019, les énergies fossiles ont représenté 70 % de l’énergie finale totale consommée par le pays. Ce simple chiffre suffit à qualifier et quantifier l’immense défi que va constituer leur abandon : les énergies décarbonées, qui ne représentaient en 2019 que 30 % de notre consommation, devront être les seules en 2050 à satisfaire l’ensemble des besoins énergétiques. Ces dernières sont de deux types seulement : l’énergie nucléaire et les énergies renouvelables, qui n’émettent pas de CO2 quand on les utilise. Leurs émissions sont limitées à celles des cycles de vie des machines (construction, exploitation, entretien, démantèlement) qui sont nécessaires pour transformer ces énergies primaires en électricité ou en biomasse transformée directement utilisables.

Cette révolution sera à la fois qualitative (changement radical de nature des sources d’énergie utilisées) et quantitative : si l’on veut disposer de suffisamment d’énergie, en dépit des indispensables progrès d’efficacité énergétique et des efforts de sobriété qui ne pourront être évités, les sources décarbonées qui seront les seules restantes en 2050 devront croître très fortement par rapport à la situation actuelle pour satisfaire les consommations énergétiques du pays. Concrètement, ne devraient subsister que deux formes principales d’énergies finales : l’électricité (qui est un vecteur énergétique de flux) et la biomasse transformée (qui est un stock de matières combustibles annuellement renouvelable constitué par la photosynthèse). Les autres sources possibles d’énergie (énergie du soleil utilisée sous forme thermique, énergie hydraulique ou éolienne utilisée sous forme mécanique (sans passer par l’intermédiaire de l’électricité) et quelques autres étant quantitativement marginales.

Le citoyen de 2050 aura donc un choix très limité pour satisfaire ses besoins énergétiques : soit de la biomasse transformée (sous forme de bois énergie pour se chauffer ou de biogaz ou de biométhane pour cuire ses aliments) ce qui ne concernera que ses besoins élémentaires et sera en quantité limitée, soit de l’électricité dont une très faible part pourrait aussi venir de la biomasse, mais dont l’essentiel sera produit par l’énergie nucléaire et trois sources d’énergies primaires renouvelables : l’eau, le vent, le soleil, qui sont les seules à disposer d’un potentiel de production d’électricité à grande échelle, soit déjà mis en œuvre (l’hydraulique est de loin la plus utilisée dans le monde) soit qui sont en forte croissance (éolien et photovoltaïque). Une partie de cette électricité sera en outre transformée en hydrogène par électrolyse, voire en méthane de synthèse fabriqué à partir de cet hydrogène, afin de satisfaire certaines applications, industrielles, de mobilité, etc.

Dans cette perspective, l’électricité deviendra donc l’énergie ultra-dominante alimentant l’immense majorité des besoins. Elle représentera par exemple 66 % de l’énergie totale utilisée selon le scénario SNBC et 72 % selon l’avis de l’Académie des Technologies (cf. [1] et schéma en annexe 1).

C’est dire que se tromper sur l’estimation de la production d’électricité nécessaire en 2050 pourrait avoir des répercussions catastrophiques sur la vie du pays. Or, faire une prévision à 30 ans de distance, soumise à un grand nombre de facteurs dont certains pourraient se révéler sous-estimés et d’autres surestimés mais qui sont tous affectés de fortes incertitudes à cet horizon, est un exercice très difficile. D’où l’importance de la méthodologie d’estimation qui dans un tel cas consiste à étudier des scénarios vraisemblables et à les assortir de nombreuses études de sensibilité suffisamment larges pour tenter de cerner l’éventail des possibles et de leurs éventuelles discontinuités. Mais une chose est certaine : ces prévisions ont très peu de chances de rencontrer exactement la réalité de 2050. Elles sont indispensables, mais pas suffisantes pour prendre de bonnes décisions, initiales puis réactualisées au fil du temps en fonction de l’évolution de la situation. 

Il faut impérativement y ajouter des études de risques et une stratégie de décision privilégiant chaque fois que possible des « choix sans regrets » (choix qui restent les meilleurs quelle que soit l’évolution de la situation future), ou au moins des choix comportant les risques et regrets minimaux.

Un exemple de choix sans regret réussi peut être cité : après le premier choc pétrolier, les « pères » du programme nucléaire qui alimente actuellement la France ont voulu réduire rapidement la dépendance du pays aux importations de pétrole et de charbon. Il fallait pour cela remplacer massivement et très rapidement les centrales utilisant ces combustibles ; la seule solution disponible était d’engager un programme nucléaire massif, capable d’avoir rapidement un impact fort. Ce qui fut fait. Ils étaient conscients que cela mettrait temporairement le pays en situation de surproduction d’électricité, mais ils ont fait le pari d’un ajustement par les exportations. Pari gagné puisque la France est devenue un grand pays exportateur d’électricité, pour le plus grand bénéfice de sa balance commerciale (les exportations d’électricité rapportent entre trois et quatre fois plus que ne coûtent les importations d’uranium).

Deux risques potentiels sans commune mesure

Question : sera-t-il plus risqué de disposer de capacités excédentaires de production d’électricité ou au contraire d’en manquer ? La réponse ne fait aucun doute : des pénuries d’électricité auraient des conséquences dévastatrices sur la vie du pays tout entier : sécuritaires dans une société qui dépendra quasi totalement de l’électricité pour la majorité de ses besoins, économiques avec des impacts sur la productivité et la production de l’ensemble des biens et services, sociales avec des destructions d’emplois, sociétales avec des coupures tournantes d’électricité qui deviendraient très rapidement insupportables.

Quelques chiffres éclairants : l’énergie représente [2] environ 2 % de la valeur ajoutée française actuelle, chiffre qui n’est absolument pas représentatif de son rôle vital. Car elle est véritablement le « sang » de notre civilisation développée : sans énergie, tout s’arrête ! Une pénurie d’énergie, donc d’électricité en 2050, affecterait potentiellement les 98 % restants de notre valeur ajoutée d’une façon qui dépendrait de l’ampleur des pénuries. Tous les secteurs de la production nationale de biens et services seraient potentiellement affectés à des degrés divers.

En un mot, sans parler des nombreuses autres conséquences, le risque financier d’un surinvestissement dans le secteur énergétique est dérisoire par rapport au risque de pertes financières dans l’économie tout entière. Ce qui ne signifie pas qu’il faut négliger l’optimisation des investissements dans l’énergie, mais que les décisions doivent impérativement tenir compte de cette hiérarchie des risques.

Le système électrique devra accroître sa sécurité d’alimentation, pas la réduire !

L’électricité étant amenée à devenir l’énergie ultra-dominante qui sera utilisée dans l’immense majorité des activités humaines, sa sécurité de fourniture, déjà essentielle actuellement, deviendra encore plus critique car il n’y aura plus le « plan B » actuel du secours par les énergies fossiles. L’apport de la biomasse sera par ailleurs limité à la fois quantitativement et qualitativement à quelques besoins élémentaires comme déjà souligné. Son potentiel total (bois énergie, biogaz, biométhane, déchets, etc.) est estimé à 425 TWh en 2050 selon le scénario SNBC, estimation ambitieuse selon ses auteurs eux-mêmes et selon l’avis de l’Académie des Technologies [1] lorsqu’on la compare aux un peu plus de 200 TWh disponibles en 2019 (voir annexe 1).

C’est dire que la sécurité d’alimentation du système électrique, actuellement très élevée, ne devra en aucun cas être réduite, mais au contraire améliorée.

Or, l’introduction d’un taux élevé d’électricité aléatoire et intermittente produite par l’éolien et le photovoltaïque a pour effet de déstabiliser l’équilibre instantané production-consommation du système électrique. C’est un premier facteur de fragilisation. Un second facteur est constitué par le mode de couplage au réseau de ces sources de production, qui passe par de l’électronique de puissance et non plus par des alternateurs synchrones. Ceci a de très nombreuses conséquences techniques, d’autant plus difficiles à maîtriser que le taux de pénétration de ces sources augmente, comme l’ont montré toutes les études sur le sujet, notamment l’étude approfondie publiée par EDF R&D en juin 2015 [3].

À ce sujet, la publication le 27 janvier 2021 d’une étude commune AIE-RTE [4] a apporté des éléments fondamentaux rendant évident le fait qu’un système « 100 % renouvelable » est très loin de pouvoir être envisagé en l’état actuel des connaissances et expérimentations. En effet, il impliquerait un changement radical de technologie : abandon du système actuel majoritairement structuré par des alternateurs synchrones régis par les lois de la physique, pour un système majoritairement structuré par l’électronique de puissance pilotée à distance par des réseaux de commande numérisés.

Plus précisément, l’étude AIE-RTE précitée a identifié « quatre ensembles de conditions strictes » de faisabilité, qui incluent notamment des validations expérimentales sur les réseaux réels de la taille du réseau français et a fortiori celle du réseau européen et sont très loin d’être acquises, mais aussi des conditions environnementales et d’acceptabilité sociétale, etc. En outre,  l’indispensable numérisation généralisée du système électrique introduirait de façon certaine un danger supplémentaire permanent de cyber sécurité par rapport au système actuel. Or, personne ne peut garantir de façon absolue qu’il sera parfaitement maîtrisable et maîtrisé en permanence et n’entrainera donc pas de risques majeurs, pouvant aller jusqu’à la mise dans le noir du pays. Pour plus de précisions sur ces sujets, voir également l’article de l’auteur de ces lignes cité en [5].

Ces raisons technologiques de fond sont à elles seules suffisantes pour exclure l’utopie du « 100 % renouvelable », indépendamment des raisons quantitatives précisées ci-après, résultant des possibilités réalistes d’occupation physique de l’espace et de leur acceptation sociétale.

Un mix [nucléaire + renouvelables] à optimiser pour la situation française

Dans le cas de la France, qui dispose déjà depuis 40 ans d’un parc nucléaire très important et d’une longue expertise dans sa maîtrise, la solution rationnelle est de s’orienter vers un mix [nucléaire + renouvelables]. Ce qui pose la question des parts respectives optimales de ces deux sources d’énergies.

Un premier élément de réponse a été donné par l’étude d’EDF R&D précitée [3]. Cette étude, qui porte sur le réseau électrique européen à l’horizon 2030-2035, montre qu’avec une proportion de 60 % (en énergie annuelle et non en puissance instantanée) d’électricité produite par des moyens pilotables (donc une limite de production des moyens intermittents de 40 % en énergie annuelle) le système électrique peut alors conserver un fonctionnement majoritairement structuré par les alternateurs synchrones, sans profonde remise en cause technologique et ses risques technologiques inconsidérés. Il y faudrait cependant un certain nombre de conditions, dont un début de recours à du stockage d’énergie du type « power to gas to power » utilisant des gaz combustibles « verts » (hydrogène électrolytique et méthane de synthèse produit à partir de cet hydrogène « vert ») pour alimenter des moyens de pointe en cas de consommation élevée combinée à un manque de vent, solution physiquement possible mais économiquement très coûteuse. On est donc à la limite des solutions économiques.

Par ailleurs, à l’horizon 2050, l’électricité pilotable produite à partir d’hydraulique et de biomasse ne devrait représenter qu’un peu plus de 10 % de l’électricité pilotable (voir annexe 2), compte tenu des limites physiques de ces deux sources d’énergies primaires. Atteindre un minimum de 60 % de production pilotable décarbonée impliquera donc au moins 50 % de production nucléaire, ce qui définit sa limite basse (Cela ne concerne que la quote-part de la France dans le système européen interconnecté et suppose que les pays voisins apporteront globalement, d’une manière ou d’une autre, leur propre quote-part en moyens pilotables. La question est donc plus large et concerne l’Europe entière).

Cette limite n’est pourtant pas optimale, il faudrait l’augmenter. Mais pour satisfaire la consommation retenue dans l’avis de l’Académie des technologies, 50 % de production nucléaire implique déjà une puissance nucléaire installée de 68 GW et une production éolienne et photovoltaïque multipliée par 6,7 par rapport à celle de 2020, ce qui serait considérable (voir annexe 2). Augmenter la production nucléaire, par exemple à 67 % (2/3 du total au lieu de la moitié) réduirait à 3,8 le facteur multiplicatif de la productions éolienne et photovoltaïque par rapport à 2020. Mais la puissance nucléaire installée nécessaire devrait passer à 90 GW. Or, disposer de ce niveau de puissance, presque 1,5 fois plus élevé qu’actuellement, implique des conditions de faisabilité très fortes, en particulier : capacité des sites existants à accepter de nouveaux réacteurs (car il sera vraisemblablement très difficile d’en ouvrir de nouveaux) ; contraintes industrielles de fabrication ; contraintes de construction sur sites ; etc. qui restent à définir précisément par les acteurs de la filière.

Il résulte de ces chiffres que satisfaire des consommations d’électricité élevées en 2050 impliquera dans tous les cas beaucoup de nucléaire mais également beaucoup d’éolien et de photovoltaïque. Cet objectif sera par conséquent difficile voire très difficile à satisfaire.

Une autre conclusion peut être tirée des chiffres de l’annexe 2 : indépendamment des « conditions impératives et cumulatives » qui concernent la viabilité d’un système électrique « 100 % renouvelable », une impossibilité quantitative se fait jour : pour satisfaire la consommation retenue dans l’avis de l’Académie des technologies, il faudrait que la production éolienne et photovoltaïque soit multipliée par 15 par rapport à celle de 2020 ! Une capacité installée dépassant 500 GW (dont le dimensionnement précis serait notamment fonction du taux d’éolien en mer) serait alors nécessaire. Cette puissance installée représenterait environ 8 fois celle du parc nucléaire actuel ! Mais elle ne permettrait toujours pas de fournir la puissance de pointe nécessaire lors d’une nuit d’hiver en cas de manque de vent. Il faudrait pour cela y ajouter entre 80 et 100 GW environ de moyens de pointe pilotables qui devraient fonctionner aux gaz de synthèse (hydrogène obtenu par électrolyse ou méthane de synthèse) ou au biométhane pour ne pas émettre de CO2.

Ces chiffres sont en dehors de toute réalité envisageable. Ils indiquent une deuxième raison permettant de conclure à l’utopie du « 100 % renouvelable » si on veut disposer de suffisamment d’électricité.

En résumé, deux raisons totalement indépendantes l’une de l’autre mais dont chacune est suffisante conduisent à une conclusion commune : une consommation d’électricité élevée ne peut être satisfaite par « 100 % d’énergies renouvelables ». Dit autrement, le « tout renouvelable » implique un sevrage sévère en énergie puisque l’électricité en serait la source principale, c’est-à-dire une décroissance économique majeure qui ne dit pas son nom.

NB: pour information, l’étude d’EDF R&D précitée a été élargie à une nouvelle étude dénommée EU-Sysflex menée avec des partenaires européens, qui a pour but d’explorer des taux de pénétration d’électricité intermittente supérieurs à 40 % en énergie annuelle (sont respectivement explorés 52 % pour 2030 et 66 % pour 2050). Ses résultats sont attendus fin 2021. Mais quels qu‘ils soient, ils n’invalideront pas les conclusions prudentes de l’étude d’EDF R&D, qui définit un plafond pour les productions intermittentes au-delà duquel les risques pour la stabilité du réseau et les inconvénients physiques, économiques et d’acceptabilité sociétale augmentent très fortement.

En outre, un taux de 40 % de productions intermittentes ne représenterait pas l’optimum économique pour la collectivité en présence de capacités nucléaires, dans la mesure où des productions intermittentes très importantes : diminuent le facteur de charge des moyens pilotables et renchérissent leurs productions ; augmentent les besoins en capacités de stockage d’énergie « power to gas to power » et leurs coûts associés ; « s’auto-cannibalisent » en cas d’afflux de productions intermittentes en présence de faibles consommations, ce qui fait chuter leur propre valeur de marché et les prix de gros de l’électricité qui peuvent devenir négatifs. Dominique Finon note à ce propos [7] :

« Les résultats montrent que, sans obligation de développement, la part optimale des énergies renouvelables intermittentes à long terme s’établirait autour de 10 à 15 % dans les pays maintenant l’option nucléaire comme la France, et ce même avec un coût de production par le nouveau nucléaire élevé (75-80 €/MWh) ».

Des choix sans regrets à plusieurs échéances

* Le premier de ces choix sans regret consiste à donner un avenir de long terme à l’option nucléaire. Cela passe par l’engagement à court terme de 6 EPR2 (EPR à sûreté inchangée mais optimisé pour en réduire les délais de construction sur site et les coûts d’investissement) ce nombre étant nécessaire pour bénéficier d’effets de série permettant de faire baisser fortement les coûts unitaires. Pour disposer d’un premier EPR2 fonctionnel en 2035, l’engagement de la série doit être décidé en 2022-2023 compte tenu des durées des procédures administratives nécessaires (2 à 3 ans) et d’une durée de construction sur site de l’ordre de 10 ans (les deux EPR chinois ont été construits dans un délai global de 10 ans, dont un peu plus de 9 ans pour chacun d’entre eux. Il sera difficile de faire beaucoup mieux en France).

Un complément possible pourra venir des futurs réacteurs SMR (« Small modular reactors ») dont le modèle NUWARD est en cours de développement en France et pourrait être opérationnel vers 2035 au plus tôt. Principalement destinés à l’exportation, ils pourraient également constituer un moyen souple d’ajustement de la capacité nucléaire, plus facilement et beaucoup plus rapidement déployable que les grands réacteurs (voir plus loin).

* Le deuxième choix sans regret est la prolongation des réacteurs 900 MW jusqu’à 60 ans. Bien entendu, cela supposera le bon état des réacteurs validé par l’ASN. Mais c’est un objectif réaliste et raisonnable pour une majorité d’entre eux au vu du retour d’expérience des réacteurs similaires américains, dont certains sont même prolongés jusqu’à 80 ans. Dans ce contexte, arrêter prématurément 12 réacteurs 900 MW supplémentaires d’ici 2035 comme le prévoit la PPE serait une folie pour plusieurs raisons :

- Un grand nombre de moyens pilotables nucléaires et au charbon auront été arrêtés en Europe à cette échéance comme l’analyse une étude de FRANCE STRATEGIE [6]. Ce manque de puissance pilotable rendra très difficile la satisfaction des besoins en Europe en cas de consommations élevées et manque de vent la nuit, en France et en Europe. Ce sera d’autant plus critique qu’il n’y aura pas à cette échéance de capacités de stockage d’énergie à une échelle suffisante, selon les anticipations de RTE,

- Rien ne garantit que les objectifs de la PPE pourront être atteints compte tenu des oppositions sociétales qui sont en train de s’exacerber, contre les éoliennes et de plus en plus contre les parcs solaires au sol, surtout quand ils empiètent sur la forêt ou les terres agricoles, sans parler des oppositions aux extensions des réseaux qui seront indispensables pour accompagner le déploiement de ces sources intermittentes d’électricité très diffuses sur l’ensemble du territoire,

- Arrêter prématurément des moyens qui produisent une électricité décarbonée, pilotable (c’est-à-dire disponible lorsqu’on en a besoin) et à coût très compétitif, reviendrait à mettre à la casse des moyens de production extrêmement utiles. Ce serait une gabegie financière incompréhensible dans un pays qui croulera sous les dettes pendant les décennies à venir,

- Enfin, arrêter prématurément des réacteurs 900 MW dont plusieurs consomment du combustible MOX qui permet de recycler le plutonium et éviter son accumulation à l’état libre modifierait profondément la gestion globale des combustibles usés et limiterait inutilement le délai important indispensable pour adapter quelques réacteurs 1 300 MW à l’usage de ce combustible. Cela pèserait en outre sur les capacités de stockage transitoire en piscines des combustibles usés nécessaires à l’horizon 2030.

C’est donc une vision systémique globale qui doit prévaloir et remplacer la motivation implicite simpliste de la LTECV et de la PPE consistant à arrêter des capacités nucléaires pour « faire de la place » à l’éolien et au photovoltaïque. Cette motivation ignore la complexité multifactorielle du sujet et est d’autant moins pertinente que les deux types de moyens concernés ne rendent absolument pas le même service.

* Le troisième choix sans regret est de se donner des marges pour faire face à une consommation qui se révèlerait in fine supérieure aux prévisions. Personne ne peut en effet exclure que les objectifs sur lesquels les estimations de consommation sont fondées soient amenées à être révisés à la hausse : l’efficacité énergétique pourra être inférieure aux objectifs espérés, des « effets rebond » pourront se produire pour certaines consommations, des augmentations de la consommation d’électricité pourront intervenir dans certains secteurs comme le numérique, etc.

Cette prise de marges doit par ailleurs tenir compte des délais de mise sur le réseau de nouveaux moyens de production. Or, ces délais seront longs :

- Concernant le nucléaire sous forme de grands réacteurs du type EPR2, il serait déraisonnable dans une vision prospective de tabler sur beaucoup moins de 10 ans pour construire et mettre en service un réacteur. Ceci à condition que les procédures administratives aient été préparées et bouclées par avance, ce qui est parfaitement envisageable,

- Concernant l’éolien, les délais techniques de construction sont beaucoup plus courts. Mais ces moyens se heurtent à des oppositions et recours juridiques qui allongent fortement les délais entre appels d’offres et mise sur le réseau, pour se situer également vers une dizaine d’années au total. Et cela a peu de raisons d’évoluer favorablement avec la multiplication des éoliennes. De plus, compte tenu de la durée de vie des éoliennes et panneaux photovoltaïques de l’ordre de 25 ans, l’acceptation de leur prolongation risque de se reposer périodiquement…

Il faut y ajouter un autre facteur, tout aussi majeur : la multiplication des éoliennes et des fermes photovoltaïques de toutes tailles aura un impact extrêmement fort sur les deux réseaux d’électricité, de transport (géré par RTE) et de distribution (géré par ENEDIS), qui devront être profondément renforcés et surtout restructurés avec un très grand nombre de nouvelles lignes, comme annoncé par RTE et ENEDIS dans leurs études prospectives. Ceci suscitera à coup sûr de nouvelles oppositions sociétales, habituelles contre la construction de lignes aériennes. Notons que l’Allemagne a déjà pris au moins 5 ans de retard dans la construction des lignes à très haute tension nécessaires pour acheminer l’électricité éolienne du nord du pays vers le sud industriel et fortement consommateur. Elle a dû se résoudre à enterrer la plupart de ces lignes, pour un coût faramineux.

Globalement, l’adaptation du système électrique à l’éolien et au photovoltaïque a donc très peu de chances d’être beaucoup plus rapide que la construction d’EPR2 sur les sites nucléaires actuels, qui sont déjà embranchés sur le réseau à très haute tension.

- Reste la solution déjà évoquée des SMR. De par leur taille réduite et surtout leur conception modulaire, les travaux de montage et de mise en service sur sites seront allégés et beaucoup plus courts. Ils pourraient probablement être réduits à 2 à 3 ans seulement sous réserve d’anticiper trois contraintes : les procédures d’autorisation nécessaires ; la préparation physique des sites ; les fabrications en usine, ces dernières s’y prêtant bien du fait de la construction modulaire en série de ces réacteurs. Ceci restera bien sûr à valider lorsque ces réacteurs seront opérationnels, mais ouvre à ce stade une perspective prometteuse en termes « d’agilité » pour faire face à un accroissement mal planifié de la demande.

De plus, grâce à leur taille réduite et à leurs caractéristiques en termes de sûreté passive (exclusion par conception des accidents graves), ils pourront beaucoup plus facilement être construits sur des sites nouveaux moins exigeants en termes d’environnement, ce qui n’est probablement pas le cas des grands réacteurs, qui devraient rester cantonnés aux sites existants et leurs possibles extensions, ces dernières n’étant en outre pas forcément possibles sur tous les sites.

En tout état de cause, se donner des marges restera un choix sans regret à condition qu’elles soient constituées par des moyens pilotables, c’est-à-dire par du nucléaire, seule énergie décarbonée qui sera disponible à la bonne échelle des besoins.

En effet, des marges en moyens pilotables apportent à la fois un supplément de production annuelle en énergie ET une puissance instantanée mobilisable à tout instant en fonction de la demande pour assurer l’équilibre production-consommation du système électrique. De plus, ces marges s’inscriront dans un contexte européen risquant de manquer massivement de moyens pilotables [6] dès 2030-2035. Elles trouveront donc une utilité supplémentaire majeure à l’échelle plus large du système électrique européen.

Ce n’est pas le cas des marges en moyens intermittents qui n’apportent de façon à peu près certaine que la composante en énergie annuelle. Par contre, leur contribution en puissance instantanée, aléatoire et intermittente, est le plus souvent, à de rares exceptions près, non concomitante avec les besoins à satisfaire. En outre, en cas de manque de vent et/ou de soleil, leur contribution en puissance devient négligeable (éolien) ou nulle (photovoltaïque la nuit) quelle que soit leur puissance installée.

Au total, les marges constituées de moyens pilotables sont infiniment plus efficaces et sûres que celles obtenues par un surcroît de moyens aléatoires et intermittents. Sauf à ajouter à ces derniers des moyens supplémentaires de stockage-déstockage-transport de gaz-conversions d’énergie, à la fois très importants et extrêmement coûteux, car ils ont des rendements globaux très faibles (30 % environ).

NB: à ce stade, on ne peut pas ne pas évoquer une autre solution, préconisée par l’AIE, notamment pour les pays ne disposant pas de nucléaire : l’utilisation de combustibles fossiles, essentiellement gaz naturel, à la condition impérative qu’elle soit associée à la capture et séquestration du carbone (CSC) pour ne pas émettre de CO2. Dans le même but, la CSC pourrait également être directement associée à la production actuelle d’hydrogène par vaporeformage d’hydrocarbures. La technologie de la CSC est connue, même si elle est loin d’avoir atteint la même maturité que le nucléaire. Ses inconvénients sont également connus : forte consommation énergétique, installations volumineuses et coûts associés élevés. Mais c’est surtout le stockage du CO2 sous une forme sûre qui pose les questions les plus délicates, y compris du fait de son acceptabilité sociétale qui est loin d’être acquise.

Néanmoins, un recours quantitativement limité, qui limiterait les quantités de CO2 à stocker, pourrait faciliter le recours à cette solution. Deux applications entrent dans cette catégorie : l’alimentation de moyens de production d’électricité de pointe qui fonctionneraient au gaz fossile avec CSC, pour remplacer le « power to gas to power » à base de gaz de synthèse, très consommateur d’électricité compte tenu de son très mauvais rendement global et/ou comme déjà cité, la production d’hydrogène par vaporeformage avec CSC qui concurrencerait l’hydrogène électrolytique qui consomme également beaucoup d’électricité. Dès lors que ces procédés n’émettent pas de CO2, le choix se ferait notamment sous les aspect économiques et en fonction des contraintes pesant sur la production d’électricité.

Les risques mortifères de décisions politiques idéologiques

Tout ce qui précède relève d’analyses rationnelles fondées sur la réalité des technologies existantes ou envisageables actuellement. Le pays n’est malheureusement pas à l’abri de décisions idéologiques prises en dehors de toute réalité dont les conséquences pourraient être dévastatrices.

Cette crainte n’est pas imaginaire, elle résulte du fonctionnement de l’Europe. Un exemple récent vient l’illustrer : après de longues discussions entre la Commission, les États membres et les Eurodéputés, l'UE vient d’adopter le 21 avril 2021 l'objectif d'une réduction nette de ses émissions de gaz à effet de serre « d'au moins 55 % » d'ici 2030 par rapport au niveau de 1990. Ce nouvel objectif remplace le précédent, qui était de 40 % par rapport à la même référence et constituait déjà un défi très ambitieux : rappelons qu’entre 1990 et 2020, la réduction de ces émissions a été de l’ordre de 20 % pour la plupart des pays européens, dont la France.

Cela signifie que l’UE compte faire en 10 ans les 35 % du reste du chemin alors qu’il a fallu 30 ans pour parvenir aux premiers 20 % de l’objectif ! Ceci implique de réduire presque 5 fois plus rapidement nos émissions de GES, et ce dès demain ! Les dures réalités et constantes de temps d’une évolution de cette ampleur sont totalement ignorées. On est là face à une « gouvernance par l’illusion » dans laquelle la réalité n’est plus qu’une option où il « suffirait » d’annoncer un objectif pour que la réalité s’y conforme.

Où sont les études de faisabilité indispensables pour mettre en évidence les points durs et guider rationnellement l’action ? Il n’y en a sans doute pas. Cela ne peut donc qu’aboutir à un échec.

Autre décision idéologique : l’opposition de la Commission à l’inclusion du nucléaire dans la Taxonomie européenne (classement parmi les énergies climato-compatibles leur permettant de bénéficier de financements privés ou publics privilégiés) alors que c’est de loin la source d’énergie la plus efficace pour lutter contre le réchauffement climatique. Mais la commission n’est pas seule : elle est en cela incitée et aidée par plusieurs pays européens qui ont décidé pour eux-mêmes d’abandonner le nucléaire, ce qui est leur droit le plus strict, mais qui ont la prétention d’imposer leur choix au reste de l’Europe, ce qui est inacceptable. Ce choix européen a par ailleurs pour conséquence la promotion exclusive de « toujours plus » d’éolien et de photovoltaïque, aidée par de grasses subventions, sans considération des graves risques de cette exclusivité sur la sécurité d’alimentation du continent.

On retrouve en France cette même idéologie et ces mêmes illusions, qui cachent pour certains groupes de pression un projet de décroissance qui ne dit pas son nom, d’autres jouant à leur insu le rôle d’idiots utiles. Un exemple caractéristique est constitué par les prévisions de consommation d’électricité à l’horizon 2050. Certaines ONG ou associations (Réseau Action climat, Négawatt) et même un organisme public (l’ADEME) ont publié des scénarios fondés sur des consommations d’électricité inférieures ou égales à 500 TWh en 2050, c’est-à-dire pratiquement identiques à celles de ces dernières années d’environ 475 TWh (exception faite de 2020, année particulière). Ainsi, on supprimerait selon eux charbon, pétrole et gaz fossile pour un total ayant représenté 70 % de l’énergie finale disponible en 2019 (cf. annexe 1) et, miracle, on ne consommerait pas davantage d’électricité en 2050 ! La pensée magique est décidément sans limites.

Les annonces de tels scénarios totalement hors-sol sont délétères : elles fabriquent volontairement de « fausses vérités » qui abusent les citoyens qui n’ont pas les moyens ou le temps d’étudier la question ; ceux-ci en seraient pourtant les premières victimes, dans un pays qui serait économiquement, socialement et sociétalement dévasté : une telle restriction entrainerait un appauvrissement généralisé accompagné de troubles sociaux majeurs. Pour rétablir une situation aussi dégradée, il faudrait alors construire en catastrophe des moyens de production d’électricité fonctionnant au gaz fossile, car ce serait la solution technologique pilotable la plus rapide à mettre en œuvre.

Mais ces moyens construits en catastrophe seraient évidemment dépourvus de CSC, beaucoup trop coûteuse pour une économie dévastée. Les vendeurs de gaz y trouveraient leur compte mais certainement pas le climat ni le pays qui aurait subi un séisme économique et social.

L’Europe et la France sont malheureusement entrées dans le monde de la « post-vérité », dans lequel les opinions ont remplacé les connaissances, l’expertise est ignorée voire méprisée, la rationalité n’a plus cours et la réalité est en option. Ne restent que la com. et les effets d’annonces qui tiennent lieu de gouvernance. Cette dérive devient extrêmement dangereuse quand elle contamine un certain nombre de décideurs politiques qui tiennent entre leurs mains l’avenir énergétique du continent ou du pays.

Une alimentation en électricité du pays loin d’être garantie au bon niveau en 2050

Ce constat résulte directement de la dure réalité des chiffres relatifs aux besoins de consommation élevés et aux possibilités de les satisfaire. Avant d’en résumer l’essentiel, il est important d’évoquer le contexte de choix technologiques possibles qui le sous-tend et a été pris en compte pour le nucléaire, ainsi que les aspects industriels associés aux différents moyens de production d’électricité évoqués :

* Concernant les filières nucléaires, seule la filière REP (réacteurs à eau pressurisée), concrétisée par les EPR2 et par le futur SMR NUWARD, est pratiquement envisageable à l’horizon 2050. Ceci résulte du choix politique de non-engagement de la construction du prototype ASTRID de réacteur RNR de 4ème génération et du désengagement de fait d’une R&D française active sur ce type de réacteurs. Cette décision repousse l’éventuelle disponibilité de ce type de réacteurs à un horizon indéterminé à ce jour. Par ailleurs, la possible émergence, souvent évoquée, de réacteurs à sels fondus reste également à concrétiser, sachant que le délai entre le lancement d’un prototype aussi innovant et la disponibilité de machines opérationnelles, fiables et compétitives pour produire de l’électricité, se compte en décennies et non en années.

On peut regretter cette situation au regard de l’avenir énergétique à très long terme de la France, comparé aux choix très volontaristes de plusieurs pays étrangers (Etats-Unis, Russie, Chine, etc.) mais c’est une donnée de base pour l’objet de cette étude : l’approvisionnement en électricité nucléaire du pays en 2050 ne peut reposer de façon réaliste que sur les réacteurs de la filière REP actuellement utilisée.

* Les aspects industriels et leurs conséquences sur l’emploi sont également fortement questionnés. En premier lieu concernant la filière industrielle nucléaire, qui est la 3ème plus importante du pays après l’aéronautique et l’automobile. Ceci alors que les filières éoliennes et photovoltaïques sont inexistantes, à l’exception de la filière éolienne en mer qui dispose de capacités industrielles importantes en France, mais qui sont passées sous contrôle étranger depuis le rachat d’ALSTOM par GE.

Tous ces éléments ont et auront un impact sur la situation énergétique du pays d’ici 2050 et au-delà et devraient être pris en compte par les pouvoirs publics dans une vision systémique de long terme. Plusieurs conclusions se dégagent par ailleurs de la présente analyse, dont les points principaux sont résumés ci-après :

* Pour satisfaire une consommation d’électricité suffisante en 2050, la production d’électricité devra être fortement accrue, probablement d’environ 80 %, par rapport à la consommation de 2019

Les énergies fossiles, essentiellement pétrole et gaz, très accessoirement charbon, ont représenté en 2019 environ 70 % de l’énergie finale totale consommée par le pays. Les énergies décarbonées, nucléaire et renouvelables, n’en ont donc représenté qu’environ 30 %. En 2050, elles seront les seules utilisables. Elles devront donc croître fortement pour satisfaire les besoins en énergie du pays. De nombreux scénarios de consommation ont été élaborés, dont certains postulent une consommation d’électricité pratiquement inchangée voire inférieure, qui ne peuvent conduire qu’à un sevrage sévère en énergie qui ferait perdre au pays son niveau de vie de pays développé, avec des conséquences économiques et sociales dévastatrices. Les prévisions les plus réalistes, parmi lesquelles celle de l’Académie des Technologies [1] anticipent au contraire une consommation d’électricité environ 80 % plus élevée que celle de 2019. Pourra-t-on satisfaire ce niveau élevé de consommation ?

* Les estimations de la présente étude montrent que seule une contribution majoritaire du nucléaire en 2050 peut permettre de satisfaire une consommation d’électricité élevée

Deux raisons complémentaires sont à la base de cette affirmation :

- En premier lieu, une contribution d’au moins 50 % en énergie annuelle permettra de conserver un fonctionnement du système électrique majoritairement structuré par des alternateurs synchrones [3] ce qui évitera une révolution technologique porteuse de risques majeurs dont personne ne peut actuellement garantir la maîtrise [4],

- Cette nécessaire contribution minimale de 50 % n’est cependant pas optimale à deux titres : elle ne conduit pas à un optimum économique [7] et implique en outre des capacités complémentaires éoliennes et photovoltaïques très importantes, ce qui soulève la très difficile question des espaces disponibles nécessaires et de leur acceptabilité sociétale, de plus en plus difficile pour ces sources de production. Une contribution nucléaire des 2/3 soit 67 %, semblerait beaucoup plus pertinente de ce point de vue et d’un point de vue économique [7]. Mais elle impliquerait une capacité nucléaire installée presque 1,5 fois plus importante que celle du parc actuel. Or, disposer de ce niveau de puissance implique des conditions de faisabilité, notamment : capacité des sites existants à accepter de nouveaux réacteurs (car il sera vraisemblablement difficile d’en ouvrir de nouveaux, sauf peut-être pour les SMR) ; contraintes industrielles de fabrication ; contraintes de construction sur sites ; etc. qui restent à définir par les acteurs de la filière pour pouvoir préciser la capacité atteignable.

Ces contraintes montrent que satisfaire une consommation élevée d’électricité sera un défi compte tenu des très importants moyens de production nucléaires ET renouvelables à mettre en œuvre.

NB: ces chiffres confirment aussi au passage qu’une production d’électricité « 100 % renouvelable » ne peut alimenter que de faibles consommations d’électricité. Il faudrait en effet disposer de capacités éoliennes et photovoltaïques environ 8 fois supérieures à la capacité nucléaire actuelle, soit plus de 500 GW, pour assurer la consommation estimée par l’Académie des Technologies [1].

Ce résultat explique aussi que les promoteurs de l’utopie du « tout renouvelable » affichent tous des scénarios comportant des consommations d’électricité très faibles. Et pour cause : c’est la condition de viabilité de leurs scénarios… Ils font donc le choix de la décroissance, qui en est le corollaire obligé ou l’objectif implicite... Cela explique également que certains scénarios énergétiques allemands misent sur des importations massives d’hydrogène (supposé produit par du photovoltaïque dans des pays très ensoleillés d’Afrique et d’ailleurs ?) car ils n’auront pas suffisamment d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques pour le produire en totalité en Allemagne. RTE a également évoqué récemment la même idée, qui implique une dépendance énergétique pour le moins problématique voire risquée en cas de conflits dans les pays producteurs. Est-ce une solution raisonnable ?

* Les productions nucléaires et renouvelables seront-elles suffisantes de façon certaine ?

La question se pose au vu du défi évoqué ci-dessus constitué par la mise en œuvre de moyens de production d’électricité considérables. Face à cette incertitude, trois autres leviers d’action ne peuvent être négligés, de façon certaine pour les deux premiers, optionnellement pour le troisième :

- Des progrès importants d’efficacité énergétique seront indispensables et ne pourront être fondés efficacement que sur les connaissances scientifiques, la R&D et l’innovation, ce qui ouvre de très nombreux chantiers,

- Des efforts de sobriété raisonnés, raisonnables et socialement acceptables seront également indispensables. Ce ne sera pas une option mais une nécessité si l’on veut contribuer à la maîtrise rationnelle d’une consommation qui apparaît dans tous les cas difficile à satisfaire, en évitant des consommations excessives ou superflues. Mais ce ne sera probablement pas la partie la plus facile du programme…

- Un possible recours au gaz fossile, obligatoirement associé à la capture et séquestration du carbone (CSC) pour ne pas émettre de CO2, ne pourra peut-être pas être totalement évité s’il était nécessaire d’alléger la demande adressée au système électrique. Deux domaines pourraient être concernés : la production de puissance électrique de pointe et celle d’hydrogène décarboné, ces deux domaines étant fortement énergétivores en électricité du fait de leurs rendements très faibles.

* La trajectoire vers le mix électrique de 2050 commence dès maintenant…

Dans la perspective extrêmement probable vue d’aujourd’hui de grandes difficultés à atteindre en 2050 une indispensable production d’électricité très élevée, arrêter prématurément d’ici là, pour des raisons autres que de sûreté, des capacités nucléaires aptes à continuer à fonctionner en toute sûreté pendant encore de longues années en produisant une électricité décarbonée, pilotable et très compétitive, serait une triple faute :

- Ce serait d’abord une gabegie financière inacceptable dont le pays n’a certainement pas les moyens dans le contexte économique et d’endettement actuel et prévisible dans les décennies à venir,

- Ce serait ensuite une imprudence irresponsable en termes de sécurité d’alimentation du pays, dans un contexte européen qui devrait voir s’arrêter une bonne centaine (ou davantage) de GW de moyens pilotables nucléaires ou fonctionnant au charbon ou au fioul à l’horizon 2030-2035, alors même que les capacités massives de stockage d’énergie, qui sont les compléments indispensables des sources d’électricité intermittente, ne seront probablement pas disponibles à cet horizon,

- Ce serait enfin une absurdité stratégique qui rendrait encore plus difficile l’atteinte des objectifs de 2050 qui requiert une trajectoire industrielle et économique optimisée dans la durée et non des destructions inconsidérées d’actifs de production extrêmement précieux en avenir incertain.

Dans ce contexte, la LTECV et la PPE actuellement en vigueur qui prévoient d’arrêter prématurément 12 réacteurs supplémentaires (en plus des 2 réacteurs de Fessenheim arrêtés en 2020) doivent être remises en cause.

* Des gouvernances européenne et française qui posent question

Au vu de leur réalité actuelle, les gouvernances européenne et française apparaissent porteuses de dangers potentiels élevés. Elles semblent ignorer que mener l’indispensable révolution énergétique qui permettra de préserver le climat sera extrêmement complexe et demandera du temps et de la constance. Cela requerra une gouvernance à la hauteur de l’enjeu au plus haut niveau politique, qui devra s’inscrire dans une vision de long terme pour apporter un soutien constant et sans faille dans la durée : le « stop and go » soumis aux intérêts électoraux de court terme serait dévastateur quand il s’agit de changer aussi profondément le système énergétique d’un pays comme la France.

Dans cette perspective, le dénigrement systématique du nucléaire qui sévit depuis plusieurs décennies et a atteint une partie des milieux politiques, ainsi que les actions et messages contradictoires délivrés au plus haut niveau de l’Etat depuis 2012 ont des effets délétères sur l’opinion publique, qui est trompée sur les réalités et donc sur ses possibilités de choix électoraux éclairés. Cela dissuade en outre les jeunes générations de s’engager dans cette filière industrielle très importante (la troisième du pays comme déjà souligné) et qui a un avenir à long terme : l’énergie nucléaire n’est pas une énergie de transition, n’en déplaise à ses opposants. Tout cela est irresponsable et jette un doute sur la suite, sachant que six mandats présidentiels et autant de risques potentiels nous séparent encore de 2050…

Le droit à l’erreur n’est pourtant pas permis. Pour la première fois dans son histoire, l’humanité va s’engager dans une révolution énergétique qui reposera presque exclusivement sur une seule forme d’énergie finale, l’électricité. La vie tout entière du pays en dépendra.

Références

[1] Perspective de la demande française d’électricité d’ici 2050 - Avis de l’Académie des Technologies - 10 mars 2021)  https://www.academie-technologies.fr/blog/categories/publications-de-l-academie/posts/perspective-de-la-demande-francaise-d-electricite-d-ici-2050-avis

[2] Chiffres clés de l´énergie - Édition 2020

[3] TECHNICAL AND ECONOMIC ANALYSIS OF THE EUROPEAN ELECTRICITY SYSTEM WITH 60 % RES - Par Alain Burtin et Vera Silva - EDF R&D - 15 juin 2015

[4] Conditions et prérequis en matière de faisabilité technique pour un système électrique avec une forte proportion d’énergies renouvelables à l’horizon 2050 - Synthèse - IEA-RTE - 27 janvier 2021

[5] Electricité « 100 % renouvelable » : solution miracle ou mortifère utopie ? Par Georges Sapy – La Revue de l’Energie - N° 654/Janvier-Février 2021

[6] Quelle sécurité d’approvisionnement électrique en Europe à horizon 2030 ? Par Étienne Beeker avec la participation de Marie Dégremont - FRANCE STRATEGIE - Janvier 2021 https://www.strategie.gouv.fr/publications/securite-dapprovisionnement-electrique-europe-horizon-2030

[7] PEUT-ON RATIONALISER LA POLITIQUE DE DIVERSIFICATION DU MIX ÉLECTRIQUE ? Source : Dominique Finon - Études & documents - ENERPRESSE N°12695 - Lundi 9 novembre 2020

 

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Annexe 1 : Consommations finales d’énergie en TWh

Source des données : Perspective de la demande française d’électricité d’ici 2050

           Avis de l’Académie des Technologies [1]

annexe 1 note Sapy

 

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Annexe 2 : mix électriques déduits du scénario de la SNBC et de l’avis de l’Académie des Technologies en fonction de la part de nucléaire

Tableau 1 : mix comportant 50 % de production nucléaire :

Cas considérés

Scénario SNBC

Avis Académie des Technologies

Consommation (TWh)

630

840

Production totale nécessaire (TWh) (1)

≈ 680

≈ 900

Production nucléaire (TWh)

 

Puissance installée nucléaire nécessaire (GW)

340

(50 %)

≈ 51

450

(50 %)

≈ 68

Production hydraulique (TWh) (2)

≈ 60

(8,8 %)

≈ 60

(6,7 %)

Production biomasse (TWh)

40

(5,9 %)

40

(4,4 %)

Total hydraulique + biomasse (TWh)

≈ 100

(14,7 %)

≈ 100

(11,1 %)

Total production pilotable (TWh)

440

(64,7 %)

550

(61,1%)

Production éolienne + photovoltaïque (TWh)

240 (3)

(35,3 %)

350 (4)

(38,9 %)

              

(1) : compte tenu de pertes réseaux de 7 %

(2) : moyenne des productions des dernières années (fluctue en fonction des précipitations annuelles)

(3) : ≈ 4,6 fois la production annuelle de 2020

(4) : ≈ 6,7 fois la production annuelle de 2020

L’analyse des données de ce tableau conduit à plusieurs conclusions :

* Avec une proportion de 50 % de production nucléaire, la proportion de production pilotable globale décroît lorsque la demande augmente. C’est dû au fait que l’hydraulique et la biomasse ayant peu de possibilités de croissance, elles sont progressivement diluées quand la production globale croît,

* Une proportion de 50 % de production nucléaire suffit à garantir une proportion globale de production pilotable supérieur à 60 %. Mais elle n’est pas optimale. En effet, les productions éoliennes et photovoltaïques devraient alors être très élevées, respectivement 4,6 et 6,7 fois plus élevées qu’en 2020 selon le cas considéré. Où installera-t-on toutes les éoliennes et centrales photovoltaïques au sol nécessaires pour atteindre ces valeurs ?

* Il en résulte qu’une proportion de 50 % de nucléaire ne serait pas suffisante, il faudrait aller au-delà. Avec par exemple une proportion de 2/3 de nucléaire, soit des puissances installées respectives d’environ 68 GW et 90 GW selon le cas considéré, les productions éoliennes et photovoltaïques seraient respectivement réduites à 128 et 200 TWh. Mais seraient encore respectivement 2,4 et 3,8 fois plus élevées qu’en 2020.

Ces estimations montrent que satisfaire des consommations d’électricité élevées en 2050 impliquera à la fois beaucoup de nucléaire et une participation très substantielle d’éolien et de photovoltaïque.

* Pourrait-on (hypothèse purement théorique) se passer de nucléaire ? Même en supposant tous les autres problèmes résolus, il faudrait alors que l’éolien et le photovoltaïque produisent respectivement 580 et 800 TWh selon le cas considéré. Soit encore respectivement, 11 et 15 fois plus qu’en 2020 ! Chiffres qui sont hors de toute réalité envisageable…

Ces estimations confirment s’il en était besoin que satisfaire une consommation d’électricité élevée avec « 100 % d’énergies renouvelables » est utopique. Sans même prendre en compte ses conditions techniques de viabilité, qui sont très loin d’être acquises, l’hypothèse du « tout renouvelable » ne serait compatible qu’avec de faibles consommations d’électricité.

 

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