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Quelques éléments pour réfléchir à notre mix énergétique

  • Publié le 21 mai 2023
Frédéric LIVET
  • Climat
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  • Transition énergétique
  • CNDP

Quelques éléments pour réfléchir à notre mix énergétique

à partir du débat « Penly » de la CNDP (Fin 2022-Deb. 2023)

Par Frédéric Livet, directeur de Recherches Emeritus CNRS

 

  

 

Un débat a été organisé par la Commission Nationale de Débats Publics (CNDP) pour informer les citoyens de notre pays sur les propositions gouvernementales de construire de nouvelles centrales nucléaires. Il m’a paru utile de mener une réflexion sur le rôle des énergies renouvelables intermittentes et du nucléaire dans notre pays aujourd’hui et à l’avenir. J’y ai fait un certain nombre d’interventions écrites qui visaient à expliquer le problème. Le débat n’a pu se tenir complètement à la suite de l’obstruction des militants antinucléaires qui ont pris argument des discussions menées sur le mix énergétique au Sénat.

Comme la CNDP a accepté l’arrêt de toute discussion sur le fond suite au blocage de ces militants et a préféré renoncer à intervenir sur le problème en transportant le débat sur le terrain des opposants, il m’a paru important de rassembler mes interventions pour répondre aux frustrations du public. Elles ont pris comme source quelques-unes des très nombreuses interventions (plus de 1000) apparues sur le site de la CNDP. Mes informations ont été largement inspirées par la situation de la production à travers les figures extraites du site « electricitymaps ». J’ai pensé que c’était la meilleure illustration des problèmes que poserait à l’avenir une production électrique qui s’appuierait principalement sur des renouvelables intermittents. Les avantages de l’option nucléaire sont aussi discutés. Je me suis permis quelques critiques quant à la posture assez tendancieuse des organisateurs du débat. Il y a 18 chapitres qui font un peu le tour du débat. Je les ai numérotés de 1 à 18.

1-Il faut une source d’électricité pilotable et décarbonée

Pour discuter ce problème, je compare les moyens de production d’électricité en France et en Allemagne. La figure 1 jointe montre la ventilation des divers moyens de production en 2020. On peut voir que, pour sensiblement la même production électrique, l’Allemagne a installé un équipement double : 123GW intermittents et presque autant de « pilotable » ( ~115GW). Elle est donc parée pour le cas où il n’y a ni vent, ni soleil. La France, que l’on dit « en retard » est très différente : nous n’avions alors « que » 32GW d’intermittents renouvelables. Les Allemands sont bien prêts aux problèmes afférents aux basses puissances renouvelables. Par opposition, nous avons fermé des moyens pilotables (les 2 réacteurs de Fessenheim, et aussi 10GW de centrales au charbon qui seraient bien utiles pour quelques heures de « pointe », que maintenant les Allemands remplissent avec du charbon.

Par contre, on voit sur la figure 2 que les résultats de l’Allemagne sont bien moins brillants en matière de CO2, et cela ne s’améliorera pas car leurs centrales au charbon fonctionnent à pleine puissance avec les prix actuel du gaz ! On voit là l’effet désastreux de fermer les centrales nucléaires !

figures 1 et 2 note CNDP Penly

 

Il y a trois enseignements à cette situation :

-Un fort développement de renouvelables intermittents oblige à garder des sources de production pilotables.

-Si on refuse le nucléaire, on est obligé de garder sous le coude des centrales utilisant des carburants fossiles émettant beaucoup de CO2

-Si comme le dit Greenpeace, on se rabat sur le gaz, qui reste un gros émetteur de CO2, la montée des prix du gaz oblige à utiliser le charbon.

 

2-Pourquoi l’Allemagne n’est pas un exemple

Dans nos débats, on entend souvent l’Allemagne être citée en exemple, et j’entends des regrets que la France ait pris du retard dans le développement des renouvelables. Or, si l’on s’intéresse aux émissions de CO2, il faut regarder les « performances » allemandes en ce moment sur le site :

https://app.electricitymaps.com/zone/DE

En ce moment (26Novembre, 21heures), le vent est assez faible et la consommation électrique moyenne. On extrait la figure qui donne la ventilation de la production électrique allemande :

image 1 note CNDP Penly

 

On peut détailler : en haut, les émissions sont de 660g/kWh, ce qui met l’Allemagne au second rang des pays européens après la Pologne. La raison est la forte contribution du charbon (figure du bas, en marron, autour de 28GW), la faible contribution de l’éolien (en vert clair). Ces émissions sont très élevées parce qu’il y a peu de vent. En ce cas, les centrales « fossiles » tournent à fond, et, comme le gaz est cher, on s’est tourné vers le charbon.

La vertu « verte »de l’Allemagne tombe un peu à l’eau. L’argument des besoins de la France est bien faible, avec moins de 1GW exportés au secours de notre déficit.

Le base du problème est qu’en l’absence de nucléaire, il est nécessaire de recourir aux centrales fossiles pour combler les manques de vent et de soleil.

Dans les projets allemands, le recours au gaz, combiné avec beaucoup de renouvelables avait permis une (modeste) décroissance des émissions allemandes en dessous de 400g/kWh l’an dernier, mais le retour du charbon montre bien l’impasse de cette politique.

Alors, je pense qu’il est plus urgent de maintenir et de développer une production nucléaire que d’investir dans des installations renouvelables intermittentes qui en plus polluent nos paysages. Et pour nos voisins allemands, qu’ils imaginent ce que seraient leurs émissions s’il avaient gardé leur excellentes centrales nucléaires et pas leurs centrales au charbon ! Ils avaient de 21GW de puissance nucléaire en 2004, ce qui couvrirait aujourd’hui une grande partie de leurs besoins fossiles.

 

3-Comparer les émissions de CO2 de la Suède et de l’Allemagne

On peut extraire du site « electricitymap » les figures ci-dessous qui représentent les productions d’électricité de l’Allemagne et de la Suède aujourd’hui (6 Décembre 2022, 9:38). Outre les émissions globales de CO2, on trouve sur la figure du bas la ventilation des diverses productions d’électricité : Comme il y a peu de vent en Europe du Nord, ces deux pays doivent trouver moyen de produire leur électricité. En marron, la production de charbon, en rouge celle du gaz, en vert celle de l’hydraulique,en vert clair le nucléaire, et en bleu-vert l’éolien.

 Images 2 et 3 note CNDP Penly

 

En Europe du Nord, peu de vent ! Alors nous avons le système électrique allemand qui bat tous ses records d’émissions de CO2 (742g/kWh), étant seulement dépassé en Europe par la Pologne (1001g). Piètre résultat pour le pays qui se pose en pole position en matière d’électricité renouvelable ! On peut anticiper ce qui se passera dans notre pays quand on aura « rattrapé notre retard » en matière d’installations renouvelables : La croissance annoncée de la consommation d’électricité et la fermeture de centrales nucléaires nous mettra en difficulté, sauf à avoir, comme cela se produira sans doute, mis en service quelques centrales au gaz.

Il faut opposer à ce système les performances de la Suède, que l’on peut voir sur la figure jointe à droite (le centre/sud de la Suède qui couvre l’essentiel des consommations), et qui montre que ce pays a des performances remarquables en matière de production d’électricité. La partie verte en haut correspond à des importations d’électricité hydraulique depuis le Nord du pays, et la Suède a gardé une importante puissance nucléaire.

La France n’a pas sous le pied une telle contribution hydraulique. Dans une période semblable, si nous ne disposons pas de suffisamment de puissance nucléaire, nous aurons recours au gaz, comme le Royaume Uni, ou, comme en ce moment, au charbon allemand.

Il est donc important pour l’avenir de prolonger le plus possible nos centrales existantes et d’en construire de nouvelles.

 

4-Quand le vent manque…

Ici, je compare les mix correspondant aux consommations électriques de 3 pays importants ; la France, la Grande Bretagne et l’Allemagne, d’après le site « electricitymap.com » ce jour (29Nov 2022)

 Image 4 5 6 note CNDP Penly

 

Sur ces trois figures, on voit, en haut les émissions en gCO2/kWh. On voit que l’Allemagne bat tous les records parce qu’elle consomme beaucoup d’électricité issue du charbon (en marron clair sur le diagramme du milieu). La raison est que les vents (en bleu-vert) y sont relativement faibles. La Grande Bretagne est dans la même situation, mais elle émet deux fois moins de CO2 parce qu’elle a fermé ses centrales au charbon et qu’elle marche alors au gaz (en rouge) qui émet deux fois moins. La France émet beaucoup plus que d’habitude (163g/kWh, au lieu de 50-60g/kWh l’an dernier), c’est essentiellement lié aux réacteurs à l’arrêt et aussi aux importations de pays comme l’Allemagne que cela nous impose : celles-ci sont incluses dans le calcul. Cependant, la France a beaucoup moins d’émissions parce qu’elle consomme à plus de 50 % de l’électricité nucléaire (en vert clair).

Ce que l’on voit ici est que avoir une grosse puissance éolienne installée, comme en Allemagne (66GW) et en Grande Bretagne (29GW) exige de posséder de grandes puissances en centrales fossiles, ce qui conduit à de fortes émissions. Le cas de la France, qui a « seulement » 19GW d’éolien est moins affecté: la France garde, malgré les offensives des courants antinucléaires, un solide socle nucléaire, qui nous éclairera encore mieux une fois que corrosions et grands carénages seront passés.

Mais la construction de nouvelles centrales nucléaires semble très appropriée.

 

Suite sur la note complète de Frédéric LIVET (avec les chapitres 5 à 18) au format pdf :

Quelques éléments pour réfléchir à notre mix énergétique

 

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