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L’énergie nucléaire

  • Publié le 19 février 2014
Hervé Nifenecker
  • Gaz à effet de serre
  • Nucléaire
  • Climat
  • Science et technologie
  • Production d’énergie

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Sauvons Le Climat                  Conseil Scientifique                                    février 2014

L’énergie nucléaire

Hervé Nifenecker

Résumé

La fission d’un gramme d’uranium fournit autant d’énergie que 2,2 tonnes de carbone. De plus la fission de l’uranium ne produit pas de gaz carbonique.  Les réacteurs actuels utilisent des neutrons lents et ne peuvent fonctionner que grâce à l’isotope 235 de l’uranium, qui n’est présent que dans la proportion de 0,7% dans l’uranium naturel. De ce fait les réserves reconnues d’uranium ne permettrait de faire fonctionner les réacteurs actuels que pendant 200 ans environ. La mise en service de réacteurs surgénérateurs s’inspirant de Phénix et Super Phénix permettrait de disposer de réserves suffisantes pour faire fonctionner 10 000 réacteurs pendant des milliers d’années.

Le coût de production de l’électricité nucléaire est comparable à celui produit par les centrales à charbon (sans capture ni séquestration du CO2), bien inférieur à celui produit par les éoliennes et les centrales photovoltaïques. Seule l’hydroélectricité est compétitive avec le nucléaire. Toutefois, aux USA, le faible coût du gaz de schiste permet aux centrales à gaz d’être compétitives  avec le nucléaire. Contrairement à des assertions souvent répétées, le coût de la gestion des déchets et celui du démantèlement des réacteurs sont bien inclus dans les prix de l’électricité nucléaire.

En fonctionnement normal le nucléaire a de très faibles impacts sur la santé publique et l’environnement. Trois catastrophes avec fusion partielle ou total du cœur des réacteurs se sont produites sur trois types de réacteurs. En 1979, la catastrophe de TMI dans laquelle le cœur d’un réacteur REP a fondu, n’a pas eu de conséquence sanitaire, l’enceinte de confinement ayant parfaitement joué son rôle. Par contre l’émotion dans le pays fut telle que aucun réacteur ne fut plus construit aux USA jusqu’à maintenant. En 1986 la catastrophe de Tchernobyl causa directement le décès de 50 intervenants, provoqua plus de 7 000 cancers de la thyroïde chez des enfants (cancer curable dans 95% des cas).  Un excès de leucémies chez les « liquidateurs » semble être observé. Le réacteur de Tchernobyl était de type RBMK  qui peut, contrairement aux REP et REB, conduire à un emballement de puissance. De plus le réacteur RBMK de Tchernobyl  ne disposait pas ,  à proprement parler, d’enceinte de confinement. La construction de nouveaux réacteurs fut arrêtée en Allemagne, Italie et Espagne, entre autres. La récente catastrophe de Fukushima devrait avoir de faibles conséquences sanitaires liées à l’irradiation des travailleurs ou du public. Sur les anciens Réacteurs à Eau Bouillante (REB) l’enceinte de confinement, trop faible ne joua pas correctement son rôle, ce qui conduisit à un important relâchement de radioactivité (environ 10% de celle de Tchernobyl). La catastrophe de Fukushima ne semble pas avoir eu de conséquence marquante sur les commandes de réacteurs (elle conduisit toutefois à l’accélération du programme allemand de sortie du nucléaire et à l’arrêt pour une durée indéterminée de tous les réacteurs japonais).

 

Principe de la production d’électricité d’origine nucléaire

L’énergie nucléaire consiste à extraire l’énergie considérable qui est contenue dans les noyaux des atomes, en exploitant la découverte faite par Einstein de l’identité profonde entre masse et énergie. Elle est environ un million de fois celle qui est libérée par les transformations chimiques ayant lieu lors de la combustion des combustibles fossiles. Pour la récupérer, on peut soit casser un noyau d’atome, c’est la fission, ou réunir deux noyaux en un seul, c’est la fusion. Aujourd’hui, seule la fission est utilisée pour produire de l’électricité, la fusion restant au niveau des études avec le projet ITER. Par nature même, cette manière de produire de l’énergie n’émet pas de gaz à effet de serre et ne contribue pas au changement climatique, sauf en ce qui concerne la construction et l’entretien des centrales ainsi que le cycle du combustible. Sur l’ensemble du cycle de vie, il a été calculé que les émissions de CO2 étaient comprises entre 5 et 10 g/kWh[1]. Par comparaison,  la production d’électricité par les centrales à charbon conduit à une émission de 900 g/kWh, les centrales à  Cycles Combinés à Gaz  de  423 g/kWh,  l’éolien, de 10 à 16 g/kWh,  le solaire photovoltaïque, de 50 à 60 g/kWh.

Par absorption de neutrons, les noyaux lourds peuvent subir une fission qui consiste en  la  production de deux noyaux de masse environ égale à la moitié de celle du noyau qui fissionne.  L’énergie produite par  une réaction de  fission (200 MeV) est  équivalente à la combustion de 45 millions d’atomes de carbone ; ou, encore, la fission d’un gramme d’uranium fournit autant d’énergie que la combustion de 2,2 tonnes de carbone.

Pratiquement tous les noyaux plus lourds que le plomb peuvent subir la fission lorsqu’ils absorbent un neutron.  Une autre réaction fréquente est la capture radiative du neutron qui permet d’obtenir un noyau plus lourd (son nombre de neutrons est augmenté d’une unité, et la réaction est accompagnée par une émission de rayons gamma). En même temps que se produit une fission des neutrons sont émis. Si l’absorption d’un neutron par le noyau donne lieu, en  moyenne,  à plus d’un neutron de « deuxième génération » une réaction en chaîne est possible et le noyau ayant cette propriété est dit (par commodité) fissile[2]. Dans la nature le seul noyau fissile est l’uranium 235 qui a 92 protons et 143 neutrons. L’uranium naturel comporte 3  isotopes, l’uranium 238 (99,2745 %), l’uranium 235 (0,720 %) et l’uranium 234 (0,0056 %). La capture d’un neutron par l’uranium 238 produit de l’uranium 239 qui se transforme rapidement par deux désintégrations  bêta[3]  successives en plutonium 239. Ce dernier qui a une demi-vie[4]de 24 100 ans est aussi un noyau fissile.  On trouve un autre noyau dans la nature, le thorium 232 qui, par un processus semblable à celui décrit pour l’uranium 238, produit un nouveau noyau fissile, l’uranium 233, de demi-vie égale à 159 200 ans.

Souvent mis sous formes d’oxydes, les noyaux fissiles et fertiles sont conditionnés dans des éléments dits combustibles. Ceux-ci comportent également une gaine permettant de confiner la radioactivité. L’énergie cinétique des fragments de fission se transforme en chaleur qui doit être évacuée par un caloporteur (de l’eau, un gaz comme le gaz carbonique ou l’hélium, ou encore un métal fondu). Porté à haute température, le caloporteur permet de produire de la  vapeur d’eau qui fait tourner une turbine couplée à un alternateur pour produire de l’électricité. Les réacteurs français actuels sont tous des réacteurs à eau pressurisée (REP) dans lesquels l’eau sert à extraire les calories et à ralentir les neutrons de fission pour les rendre plus « réactifs »[5]. Le fait que l’hydrogène de l’eau est un absorbeur de neutrons rend nécessaire d’enrichir l’uranium du combustible en uranium 235. La concentration en uranium 235 est ainsi portée à environ 3% dans les combustibles des REP.

Le pilotage du réacteur consiste à contrôler la réaction en chaîne de telle manière que le nombre de fissions par seconde reste constant à une valeur prédéfinie ; ainsi la puissance produite par le réacteur peut être maintenue constante et égale à la valeur fixée par l’opérateur. 

Un réacteur de 1 GWe (un milliard de Watts électriques), produisant 8 TWh par an,  consomme environ une tonne par an de noyaux fissiles et 30 tonnes d’uranium enrichi à 3%. Le volume correspondant est d’environ 3 m3. Pour produire la même quantité d’énergie dans une centrale à charbon il faut brûler environ 4 millions de tonnes de charbon (3 millions de m3) et produire en moyenne 500 000 tonnes de déchets sous forme de cendres.

Un réacteur de 1 GWe consomme environ 200 tonnes d’uranium naturel par an

 

Réserves et ressources d’uranium

Avec les réacteurs actuels, les besoins annuels mondiaux d’uranium naturel  sont de l’ordre de 60 000 tonnes.  Les réserves prouvées ou probables sont estimées à 4,7 millions de tonnes pour un prix de 100 €/kg.  Autrement dit, au rythme de consommation actuel on dispose de 80 années de production. A ce prix l’uranium représente environ 5%[6] du coût de l’électricité produite. Au prix d’une augmentation de coût raisonnable  Il est donc possible d’exploiter des gisements plus pauvres. Une multiplication des coûts par deux permet donc de quadrupler les réserves. Les 16 millions de tonnes[7]de réserves ainsi obtenues, seraient alors  accessibles moyennant une augmentation de 5% du coût du kWh nucléaire.  Si on admet de voir le prix de l’uranium atteindre 500 €/kg (soit une augmentation du coût du kWh de 25%) il devient envisageable d’extraire l’uranium de l’eau de mer, extraction dont la possibilité a été démontrée par des chercheurs britanniques, et, plus récemment, japonais. L’océan contient 4 milliards de tonnes d’uranium  renouvelées au rythme de 20 000 tonnes par an par l’apport des fleuves.

Les réacteurs surgénérateurs permettent de remplacer les noyaux fissiles consommés pour la production d’électricité par de nouveaux noyaux fissiles produits par capture neutronique. Le cycle de surgénération le plus performant est celui du couple uranium 238-plutonium 239 qui requiert toutefois la mise en œuvre de neutrons rapides. Le couple thorium 232-uranium 233, moins efficace, permet, lui, de fonctionner aussi avec des neutrons lents. Dans le cas de l’uranium l’utilisation de la surgénération permettrait de recourir à des minerais 100 fois moins riches que ceux utilisés actuellement. De plus les stocks considérables d’uranium appauvri pourraient être immédiatement utilisés. Dans la pratique, le nucléaire surgénérateur est donc une énergie durable pour laquelle il n’y a aucun problème d’approvisionnement à l’échelle du millénaire[8] même si   l’énergie nucléaire venait à être exploitée dans le monde  beaucoup plus largement qu’elle ne l’est aujourd’hui.

 

Investissement, coûts et durée de vie des réacteurs[9]

Dans les conditions du parc de réacteurs français actuel, le coût de  fonctionnement  qui comporte le prix du combustible, les salaires et les consommations diverses est de l’ordre de 28 €/MWh. La part variable de ce coût[10], essentiellement les dépenses de combustible,   est d’environ 6 €/MWh. C’est cette part qui correspond aux économies réalisées lorsque le réacteur ne fonctionne pas à sa puissance maximale (par exemple si l’électricité nucléaire est relevée par de l’énergie éolienne).

En ce qui concerne la part correspondant au remboursement des empruntspour les investissements initiaux (environ 1,5 G€/GWe, selon la Cour des Comptes de la Nation), elle est devenue faible car ces emprunts sont pratiquement remboursés. Par contre, l’extension de la durée de vie des réacteurs  ainsi que leur mise aux normes de sûreté  post-Fukushima, a été estimé par EDF à 50 G€ pour la totalité du parc., soit 12, 5 €/MWh. On arrive donc à un coût de 40,5 €/MWh pour les 10 ans qui viennent. Afin de prendre en compte les investissements de renouvellement du parc, la loi NOME a fixé le coût du MWh nucléaire à 42 €/MWh.   Selon la Cour des Comptes[11] une valeur de 49,5 €/MWh serait plus réaliste. Toutefois, la signification de ce  coût  est obscurcie par les difficultés que connaissent les chantiers de construction des EPR de Olkiluoto et de Flamanville. Initialement le coût du réacteur EPR avait été annoncé à 2 G€/GWe. Il est actuellement proche de 4 G€/GWe. La durée  de construction initialement fixée à 5 ans semblerait atteindre 9 ans. Ce n’est pas mieux que pour l’EPR finlandais malgré l’intervention d’EDF. Par contre, il semble bien que les 2 EPR chinois seront construits en temps et en heure.  On peut espérer que les coûts et les durées de construction des  prochains EPR français se rapprocheront  des performances chinoises. Dans un premier temps on peut supposer un coût de 3 G€/GWe et une durée de construction de 7 ans. La méthode de calcul des coûts présentée dans la fiche « Calcul du coût du MWh produit » conduit à estimer un coût du MWh de 68 €/MWh. Dans le cas du réacteur de Flamanville on arrive à un coût de 96 €/MWh. La Cour des Comptes donne une fourchette entre 70 et 90 €/MWh.   Dans le cas où on retient les performances qui semblent devoir correspondre à celles des EPR chinois on arrive à un coût de 47 €/MWh.

Selon la Cour des Comptes, EDF prévoit un coût d’environ 21 G€ pour le démantèlement de ses réacteurs. Ce nombre est à rapprocher du coût de la construction des 58 réacteurs en fonction,  soit 96 G€, auxquels doivent s’ajouter  les 6 G€ pour la construction des réacteurs de première génération[12]. Le coût du démantèlement serait donc d’environ 20% du coût de la construction. Ce nombre est aussi à  rapprocher de la valeur totale de la production du parc pendant 40 ans soit plus de 680 G€[13]. L’incidence du coût du démantèlement sur le prix de l’électricité nucléaire est donc très faible, de l’ordre de 2 à 3%, et ce sans tenir compte de l’actualisation[14]. Si  on tient compte  de celle-ci  l’incidence du coût du démantèlement devient inférieure au pour cent. 

Le coût du stockage géologique est estimé entre 15 et 35 G€, auxquels il faut ajouter les coûts de gestion des déchets de faible et très faible activité estimés à environ 560 M€. Là encore il faut rapporter le coût du stockage aux 680 G€ représentant la valeur de la production nucléaire, soit entre 2 et 5%.

La durée de vie contractuelle des EPR est de 60 ans.

 

Emissions de CO2

Des études approfondies sur le cycle de vie des réacteurs nucléaires ont été faites par un groupe de Zurich dans le cadre du programme ExternE de l’Union Européenne. Les émissions de CO2 du cycle nucléaire sont essentiellement dues à l’étape de l’extraction du minerai d’uranium et à celle de la construction des installations. Sur le cycle de vie les émissions de CO2 atteignent 6 g/kWh, dans le cas de la France (cela peut être un peu supérieur dans d’autres pays où l’enrichissement du combustible est effectué en utilisant de l’électricité provenant en grande partie du charbon).  D’une façon plus précise, l’amont du cycle du combustible contribue à hauteur de 3,5 g/kWh et la construction des réacteurs à hauteur de 1,5 g/kWh.

Conséquences des accidents et des pollutions sur la santé humaine

En fonctionnement normal les installations nucléaires n’ont  pas de conséquences sanitaires sur le public. Des anomalies sur la fréquence  de leucémies à la limite de la statistique ont été observées auprès d’usines de retraitement et de quelques réacteurs. Des études approfondies n’ont pas montré de corrélations entre ces excès de leucémies et les niveaux de l’irradiation reçue par les malades. Par contre, il semble que des infections virales trouvant leur origine dans les mélanges de population causées par le chantier de construction pourraient expliquer les anomalies observées. Des constatations analogues ont été faites  près d’autres grands chantiers non nucléaires.

Ce sont les activités minières qui sont susceptibles d’avoir le plus de conséquences sanitaires. Un excès de cancers de poumon a été observé chez des mineurs travaillant dans des mines mal aérées,où s’accumule du radon 222, isotope radioactif issu de la chaîne de désintégration de l’uranium naturel, avec une forte interaction entre l’exposition au radon et la tabagie. Désormais, de sérieuses  précautions sont prises pour protéger les mineurs d’une exposition au radon.

Un emballement des réactions de fission est impossible dans le cas de réacteurs du type REP. Par contre une panne de refroidissement empêchant l’évacuation de la chaleur résiduelle peut déboucher  sur une fusion du cœur, évidemment un accident majeur dont les conséquences doivent être jugulées  par tous les moyens. C’est ainsi que les réacteurs REP possèdent trois barrières de confinement destinées à éviter que, même en cas d’accident, la radioactivité produite dans le combustible nucléaire puisse se répandre à l’extérieur où elle

aurait des effets potentiellement très nocifs pour les populations environnantes. Ces barrières s’emboîtent l’une dans l’autre de façon à constituer un triple écran. La 1èrebarrière est la gaine qui entoure les éléments combustibles, la 2e  l’enveloppe du circuit primaire, la 3eune enceinte de confinement en béton qui entoure le tout. Dans le cas d’une fusion du cœur la première barrière est évidemment inopérante. Les moyens de refroidissement conduisant au noyage du cœur dans son enceinte empêchent, en principe, que le corium (résultat de la fusion du cœur) perce la cuve. Au cas où ce refroidissement ne serait pas efficace, le corium se répandrait  sur le plancher (radier) de l’enceinte. Dans ce cas la pression dans l’enceinte de confinement augmenterait et il faudrait relâcher des gaz à l’extérieur. Ce relâchement  se ferait à travers des filtres conçus de telle manière que les gaz ou vapeurs radioactives comme l’iode ou le césium soient piégés. Par ailleurs l’interaction entre le corium et l’eau produit de l’hydrogène qu’il faut impérativement re-combiner  dans des dispositifs passifs prévus à cet effet afin que la concentration d’hydrogène dans l’enceinte ne puisse atteindre le niveau de déflagration. Le corium étalé sur le radier se refroidirait  progressivement d’autant plus vite qu’il aurait de la place pour s’étaler. C’est l’avantage des très grandes dimensions de l’enceinte de confinement. Il faudrait, malgré tout, au bout de quelques jours, pouvoir refroidir, par un arrosage extérieur, l’enceinte de confinement. Dans le cas de l’EPR il est prévu que le corium s’étale dans un cendrier réfractaire de grande dimension avec un circuit extérieur à l’enceinte de béton pour en assurer le refroidissement.

 

Deux catastrophes majeures, celle de Fukushima et celle de Tchernobyl ont eu ou pourraient avoir des conséquences majeures sur les professionnels aussi bien que sur le public. Le Forum Tchernobyl réunissant les principales agences de l’ONU a établi un bilan des victimes de la catastrophe : 50 décès, 7 000 cancers de la thyroïde curables à 95%. Les victimes de ces cancers ont été des enfants de moins de 15 ans au moment de la catastrophe. Il semble, par ailleurs, qu’on observe un excès de leucémies parmi ceux qu’on appelle les « liquidateurs »qui sont intervenus sur la centrale accidentée. Les organisations antinucléaires ont avancé et continuent à avancer des nombres de victimes  allant de  90 000 à 500 000. Les moins fantaisistes  de ces estimations reposent sur l’hypothèse que toute dose de radiation, aussi faible soit-elle,  peut être à l’origine de cancers mortels, la probabilité pour que ce soit le cas étant proportionnelle à la dose reçue (ce qu’on appelle la relation linéaire sans seuil). L’usage de cette relation implique qu’une irradiation très faible d’un millier de personnes a le même effet qu’une irradiation 1 000 fois plus forte focalisée sur un seul individu. On peut transposer ce raisonnement au cas de la tabagie : 1 000 individus fumant chacun un paquet de cigarette par an conduirait à la même probabilité  de cancer du poumon qu’un seul ayant fumé 1 000 paquets pendant la même durée. En réalité, les études épidémiologiques  aussi bien que biologiques ne montrent aucun effet cancérigène des radiations pour des doses inférieures à 50 mSv, soit 20 fois le niveau de la radioactivité annuelle  naturelle moyenne.

Pour ce qui concerne Fukushima les professionnels eux mêmes ont été relativement peu irradiés, contrairement à ce qui s’était passé à Tchernobyl. Le public ayant été évacué et des pastilles d’iode distribuées pour éviter d’éventuels cancers de la thyroïde chez les enfants et les adolescents, les conséquences de l’irradiation sur lui seront sans doute très faibles. On ne peut cependant exclure quelques cancers de la thyroïde pour des enfants qui n’auraient pas ingéré de pilules d’iode.

En plus des  conséquences limitées de l’irradiation sur les victimes de Tchernobyl et de Fukushima, le stress provoqué  par une évacuation de plus ou moins longue durée, la perte éventuelle d’un emploi, la peur ressentie au long du déroulement de la catastrophe et la crainte constante et entretenue des radiations peuvent avoir de très sérieuses conséquences psychologiques ou psychosomatiques.  

Pour ce qui concerne les conséquences environnementales, l’évolution en moins de 20 ans  de la zone interdite autour du réacteur de Tchernobyl est très instructive. La limitation de la présence humaine l’a transformée en un véritable parc naturel protégé. La vie sauvage y est florissante, les loups y sont revenus en nombre, de même que les bisons d’Europe, les ours, toutes sortes d’oiseaux. La flore y est luxuriante. Une évolution similaire a été observée sur l’îlot de Bikini où la biodiversité est foisonnante. 

Il faut souligner les différences importantes du point de vue de la sûreté  entre les réacteurs de Tchernobyl et de Fukushima et les REP.  Les réacteurs de Tchernobyl (de type RBMK) utilisaient du  graphite pour ralentir les neutrons et de l’eau pour évacuer les calories. La séparation des fonctions a conduit dans cette configuration particulière à la possibilité d’un emballement de la réaction de fission (excursion critique) dans le cas où l’eau  se transforme en vapeur. C’est ce qui s’est passé, une telle  excursion critique étant à l’origine de la fusion des éléments combustibles puis de l’incendie du bloc de graphite. La conception des REP et des Réacteurs à Eau Bouillante (REB) évite par contre une telle configuration génératrice d’excursion de puissance. De plus, les réacteurs RBMK n‘ont pas d’enceinte de confinement  étanche : ils sont situés dans un bâtiment dont le toit est formé de plaques de béton amovibles. Les explosions  dues à l’hydrogène produit par la fusion du cœur ont soulevé le toit qui, en retombant, s’est fracturé.

Les réacteurs de Fukushima étaient du type REB. Ces réacteurs ont une enceinte de faible dimension et de faible épaisseur (3 cm d’acier aux points de fragilité). Ils ne disposent pas d’échangeurs de température qui, dans le cas des REP, séparent l’eau active circulant dans le cœur de la vapeur activant la turbine. De ce fait une partie du circuit primaire pénètre dans le bâtiment turbine rompant en pratique la deuxième enceinte. Enfin les réacteurs ne disposaient ni de re-combineurs d’hydrogène ni de filtres pour les rejets éventuels de gaz radioactifs. Il ne fait pas de doute que l’ASN n’aurait pas admis la poursuite du fonctionnement des réacteurs de Fukushima sans mise en place de ces dispositifs de protection.

Potentiel de la technologie en France, à  l'international

Les acteurs majeurs du nucléaire en France sont AREVA , EDF et le CEA.  Avec le retrait de Siemens, AREVA reste le seul constructeur de réacteurs de l’Union Européenne, mais il se trouve devant une concurrence redoutable des Russes, des Sud Coréens, des compagnies américano-japonaises (Westinghouse-Toshiba, General Electric-Hitachi). Les marchés chinois et indiens sont contrôlés par des acteurs locaux avec lesquels des alliances sont possibles. En tant que constructeur de réacteurs la route d’AREVA n’est donc pas dénuée d’obstacles. Les perspectives sont plus faciles pour l’entretien des réacteurs, la fabrication des combustibles, le retraitement où la primauté d’AREVA n’est pratiquement pas contestée. A la suite d’une opération lourdement déficitaire, le secteur minier d’AREVA connaît aujourd’hui des difficultés.

EDF est la plus puissante compagnie d’électricité du monde occidental et la plus experte pour la gestion et l’exploitation de parcs nucléaires. Son expérience d’architecte industriel et de maître d’œuvre ne peut être comparée qu’à celle de ses homologues chinois.

Le CEA est un des tous premiers centres de recherche mondiaux sur les réacteurs nucléaires ; en particulier, il prépare le réacteur à neutrons rapides ASTRID qui devrait permettre à la France de reconstruire sa compétence sur ces réacteurs alors que, à la suite de l’arrêt de Super Phénix et de Phénix, les Russes ont pris le leadership dans ce domaine, suivis par les Indiens et les Chinois.

A la suite de la catastrophe de Fukushima la sûreté des réacteurs sera sûrement recherchée en priorité. De ce fait les réacteurs de Génération 3 qui incluent des exigences de sûreté notablement renforcées par rapport aux réacteurs actuels voient accrues  leurs chances d’être commandés. C’est le cas de l’EPR. Toutefois, les coûts et délais de construction observés pour les deux EPR européens laissent largement à désirer, au rebours de leurs analogues construits en Chine. AREVA et EDF devront démontrer qu’il leur est possible de retrouver leur efficacité des années 80. Le prochain test sera au Royaume Uni.

La catastrophe de Fukushima ne semble avoir que des répercussions limitées sur les projets de construction de réacteurs : la décision allemande ne fait qu’accélérer une évolution qui avait été décidée par la coalition SPD-Grünen et seulement ralentie par la chancelière Merkel. L’Italie n’avait toujours pas pris la décision de reprendre un programme nucléaire. Le Royaume Uni, les pays d’Europe de l’Est, la Russie, la Chine, l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud maintiennent leurs programmes. Aux USA la route est libre pour la construction de réacteurs AP1000.

 


[1] Voir H.Nifenecker, « Le nucléaire : un choix raisonnable ? » p.170 et références données.

[2]La définition habituelle  des noyaux fissiles est que ce sont les noyaux fissiles avec des neutrons lents, alors que les noyaux fertiles ne le seraient pas. En réalité les noyaux fertiles sont fissiles même avec des neutrons lents mais avec une probabilité très faible. C’est pour éviter ce genre d’ambiguïté que nous trouvons préférable la définition de la fissibilité faisant appel à la possibilité de réaliser une réaction en chaîne. 

Les noyaux qui, par capture d’un neutron, peuvent se transformer en noyaux fissiles sont appelés « noyaux fertiles ». C’est le cas de l’Uranium 238 et du Thorium 232.

[3] Dans une désintégration béta un neutron du noyau se transforme en proton en émettant un électron

[4] La demie vie ou période radioactive est le temps au bout duquel la quantité initiale (et l’activité) du noyau est divisée par 2

[5] Lors de leur production les neutrons de fission ont une vitesse de l’ordre de 20 000 km/s.  Dans les réacteurs dits thermiques la vitesse des neutrons est  dégradée aux environs de quelques km/s.

[6] Pus précisément un réacteur de 1 GWe  exige annuellement 200 tonnes d’Uranium pour fabriquer son combustible estimées à 20 millions d’euros tandis que  les 8 TWh produits par le réacteur sont valorisés 350 millions.

[7] Chiffre d’ailleurs donné par l’Agence de l’Energie Nucléaire de l’OCDE

[8] La surgénération rendrait rentable l’extraction de l’uranium de l’océan. Les fleuves amenant à ce dernier environ 20 000 tonnes d’uranium chaque année on peut même considérer que pour des consommations inférieures à cette valeur (suffisante pour une production annuelle de l’ordre de 140 000 TWh) le nucléaire est une énergie renouvelable.

[9] Les développements qui suivent sont spécifiques à la France pour laquelle nous avons le plus de données.

[10] La part variable est celle qui est proportionnelle à la production.

[11] Les Coûts de la filière nucléaire.  Cour des Comptes, Janvier 2012

[12] La Cour estime à 12 G€ le coût de construction de Super Phenix

[13] Calcul sur la base de 42 €/MWH

[14] La Cour des Comptes donne une charge annuelle pour le démantèlement de 461 M€, pour  un coût total de production de 20 172 M€, soit 2,3%.

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