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Peut-on sortir du nucléaire ? Après Fukushima, les scénarios énergétiques de 2050

  • Publié le 11 octobre 2011
Jacques Foos et Yves de Saint Jacob

 

Jacques Foos et Yves de Saint Jacob

 

Editions Hermann -  Culture Sciences

 

 

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Une idée force traverse le livre : le monde consomme beaucoup d’énergie et va en consommer trois ou quatre fois plus d’ici 2050. Nous aurons du mal à répondre à la demande, il faudra économiser au maximum et en même temps accroître beaucoup la production. Il faudra développer toutes les sources d’énergies. Il est inutile de les opposer les unes aux autres. On ne pourra se passer d’aucune d’entre elles. Et notamment pas du nucléaire…

 

Ce n’est pas tant que le monde soit « gaspilleur » – trop de week-ends, trop de chauffage ou trop d’appareils ménagers et informatiques. Non, c’est que depuis la mondialisation, des grands pays comme la Chine, l’Inde, le Brésil, aspirent au même développement que le monde occidental. Ils n’aspirent pas seulement à la voiture et à la surconsommation. Ils aspirent à la santé, à l’éducation, au bien-être. Et ils ont bien raison !

Peut-on leur dire : « Vous arrivez trop tard ! Désolés, nous avons beaucoup profité mais la planète et son climat exigent aujourd’hui l’abstinence énergétique » ? On peut toujours essayer cet argument…

Peut-on partager ? Les riches pourraient consommer moitié moins et donner cette moitié aux pays pauvres en énergie. Mais ils sont beaucoup plus nombreux que nous…

Peut-on économiser l’énergie ? Oui, il faut le faire au maximum, mais cela ne suffira pas.

Donc, il faut produire davantage, et en émettant le moins possible de CO2 car le danger du réchauffement climatique est réel. Il faut bien sûr polluer le moins possible l’environnement et essayer de limiter quand même un peu l’augmentation inévitable du coût de l’énergie, que nous avons eu à un prix ridicule mais qui va lourdement grever les finances de nos enfants.

 

Dans la première partie, le livre rappelle les grandes données démographiques, l’émergence de nouveaux pays, l’évolution du monde au XXe siècle : le temps où l’on avait foi en la Science, la naissance des préoccupations environnementales (p.19). Les auteurs ont établi trois scénarios très simples, et volontairement idéalistes (p.37) :

1) On continue comme au rythme moyen du XXe siècle. 

2) On continue au rythme moyen de la première décennie du XXIe siècle tout en devenant raisonnables au fil des ans

3) On partage tout entre riches et pauvres.

Après avoir décrit la situation énergétique mondiale et européenne (p.51), le livre passe en revue toutes les énergies disponibles en de courts chapitres : l’énergie du vent (p.67), de l’eau (p.77), du soleil (p.85), de la terre (p.93), de la biomasse (p.99), les énergies fossiles (p.107), et même les énergies que l’on ne connaît pas (p.115) ou la meilleure des énergies, celle que l’on ne dépense pas (p.123).

En développant au maximum, dans les trois scénarios, les énergies renouvelables, on aboutit à un « mix » énergétique mondial très différent de celui d’aujourd’hui : les énergies fossiles occupent moitié moins de place, les renouvelables ont considérablement augmenté, le nucléaire a progressé raisonnablement (cf graphiques p134 et 135.). Dans les trois cas, on n’arrive pas à répondre aux besoins.

Même en prévoyant 40% d’économies d’énergie pour le monde développé, même en couvrant la planète d’éoliennes, de parcs solaires, d’hydroliennes marines, en brûlant la biomasse et en reboisant, en captant l’énergie des volcans, nous ne répondrons pas à la demande !

C’est l’Apocalypse alors ? La fin de la civilisation humaine ? Le livre croit au progrès, à la science, à la recherche. Il faut retrouver ces « spoutnik moments » (p.70), quand les États-Unis prenaient la décision d’aller sur la lune et mettaient les moyens en face pour y parvenir. Il faut de grands programmes mondiaux de recherche : comment stocker l’électricité, comment la transporter sans pertes, comment améliorer la performance de toutes les énergies renouvelables, comment trouver de nouveaux espaces (de la picophysique à la fusion nucléaire), comment traiter les déchets nucléaires.

 

La deuxième partie du livre traite longuement du nucléaire. D’abord parce que nous ne pourrons pas nous en passer, et ensuite parce qu’après Fukushima, une nouvelle vague - un tsunami - de scepticisme et de frayeurs infondées a déferlé. Dans ces conditions, il faut tout repasser au crible de  la critique.

Qu’est ce qui rend le nucléaire aussi mystérieux (p.139) ? Comment marche un réacteur (p.145) ?

Les auteurs survolent ensuite les trois accidents marquants de la filière : Three Mile Island, Tchernobyl, Fuskushima (p.153).

Ils rappellent la vraie histoire du nuage de Tchernobyl (p.192) dont la France entière a gardé une seule image –fantaisiste-, celle du « nuage qui s’est arrêté à la frontière ».

Ils reviennent sur les estimations du nombre de victimes de Tchernobyl (p. 197). De quelques dizaines à 1 000 000 ! Pourquoi une telle imprécision, qui, au fond, arrange tout le monde…

Ils détaillent les considérations générales de la sureté nucléaire, et avancent déjà quelques pistes sur les manières de renforcer après Fukushima la sécurité nucléaire (p.167). Il ne peut y avoir de nucléaire « low cost ». Certaines des idées avancées –comme celles de placer en hauteur les moteurs diesel des systèmes de refroidissement, par exemple sur les falaises qui entourent les centrales en bord de mer- ont déjà été reprises par les décideurs de la filière nucléaire française.

Au-delà des accidents de centrales eux-mêmes, deux risques impressionnent à juste titre les citoyens : les irradiations, à proximité des centrales, ou au loin avec les nuages radioactifs en mouvement, et le stockage des déchets.

Le livre plaide pour la transparence absolue des contrôles, mais en retour il demande que l’on en finisse avec les fantasmes non justifiés (p.195). Une irradiation naturelle existe depuis toujours et le danger provient donc des niveaux de doses, qui peuvent se chiffrer avec précision. Si les mesures montrent que le seuil de sécurité n’est pas franchi, il ne faut pas entretenir la peur. Si une zone n’est plus irradiée, il faut y ramener les habitants (p.200). Si la vie reprend plus fort autour de Tchernobyl, il faut le dire et analyser scientifiquement ce phénomène dit d’hormesis (p.202).

Le livre explique longuement les diverses catégories de déchets nucléaires (p.221) et ne cache pas la grande difficulté à gérer les déchets de haute activité sur des milliers d’années. Cette maîtrise du temps long pose une interrogation presque métaphysique. Les auteurs ne proposent pas d’« enterrer » le problème… Ils proposent de s’engager dans deux directions : réduire au maximum le volume des déchets - et de ce point de vue les surgénérateurs de quatrième génération sont essentiels (p.215) - et faire confiance aux générations à venir pour développer industriellement les techniques que l’on a déjà identifiées en laboratoire, dans le domaine de la transmutation (p.230)

Cette confiance dans la capacité de nos enfants et petits-enfants n’est pas incantatoire. Elle repose sur la conviction que le monde saura engager de grandes recherches, avec une mise en réseau de tous les cerveaux du monde, et instaurer une gouvernance mondiale minimale, notamment avec un gendarme mondial du nucléaire civil. C’est la perspective ouverte par la conclusion (p.237).

Références