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Faire de la sureté nucléaire un bien public mondial

  • Publié le 5 mai 2011
Claude FISCHER, Présidente de Confrontations Europe .

 

Claude FISCHER, Présidente de Confrontations Europe : Faire de la sureté nucléaire un bien public mondial

 

Quand les anti-nucléaires demandent un referendum dans l’urgence, ils exploitent sans décence l’émotion populaire, alors qu’aider le Japon et répondre aux préoccupations impliquent l’appropriation par les populations des enjeux de la sûreté pour en faire un bien public.

Les Japonais eux-mêmes ne demandent pas de sortir du nucléaire, mais des informations précises sur la gravité des risques afin de bien comprendre la situation et de prendre les bonnes mesures. Ils ont fait face avec beaucoup de dignité et de résolution au violent tsunami qui a frappé leur pays et causé des dizaines de milliers de morts et de victimes, et réagi avec lucidité, voire stoïcisme, alors que la communauté internationale était parfois plus préoccupée pour elle-même que par le sort des Japonais.

Aujourd’hui ils vivent avec la menace nucléaire, et ils commencent à demander des comptes : à Tepco, et l’autorité de sûreté ! Il faudra clarifier les responsabilités des entreprises et du gouvernement dans la prévention et la gestion de la crise… L’évaluation des risques dans la définition des normes de sûreté a-t-elle été suffisante ?

La localisation des centrales a-t-elle suffisamment tenu compte des impératifs de défense en profondeur des équipements les plus sensibles ?

Le Japon est dépendant du nucléaire. Avec ses 54 réacteurs, il est une des plus grandes puissances nucléaires avec les USA et la France. Mais c’est une île et un des pays les plus sismiques du monde avec le Chili et l’Indonésie… Si le mythe de la sûreté nucléaire japonaise est remis en question et interroge la sûreté mondiale, il ne faudrait pas en tirer des conclusions trop hâtives et précipiter les décisions sans ouvrir le débat public sur l’avenir de nos politiques énergétiques.

Faire de la sûreté nucléaire un bien public mondial

L’impact de la catastrophe de Fukushima sera considérable. Mais je ne suis pas sûre qu’il marquera une rupture vis-à-vis de l’énergie nucléaire - ni au Japon, ni dans le monde- et qu’une telle rupture soit d’ailleurs souhaitable. Rappelons-nous Tchernobyl ! Si des pays comme l’Italie ou l’Autriche ont alors décidé d’abandonner le nucléaire, celui-ci s’est développé ailleurs dans le monde entier. De plus, une fois qu’on y est entré, le devoir de responsabilité s’impose pour longtemps ! Il faut mille ans pour sortir du nucléaire, pas dix ans ! La navigation à vue de Mme Merkel - finalement inefficace sur le plan électoral - sortira peut-être l’Allemagne de la production électronucléaire, mais certainement pas du nucléaire et de son devoir de gestion de la sûreté de ses sites et de ses déchets. La question n’est donc pas de savoir comment en sortir maintenant, mais comment en faire une industrie sûre, de définir des normes communes de sûreté, et créer des autorités de sûreté véritablement indépendantes.

En Europe, les gouvernements essaient de lâcher du lest pour rassurer leurs populations ! Mais l’urgence est bien plus dans l’harmonisation de normes élevées de sûreté, et de faire de la sûreté –comme nous le demandions encore à Budapest en septembre (1)- le 4ème pilier de la politique énergétique communautaire. Il faudra articuler les enjeux de sûreté à ceux de la sécurité d’approvisionnement, du climat et de la compétitivité !

Le Sommet de mars a suivi la Commission dans sa proposition de stress tests européens. Les autorités de sûreté nationales effectuent des tests de résistance depuis longtemps, et le Wenra (Western European Nuclear Regulators Association) travaille. Mais il s’agit maintenant de réagir en commun, avec des critères communs et des vérifications communes : c’est un changement radical. Après Tchernobyl, seuls les nouveaux membres de l’UE se sont vus imposés des normes les obligeant à fermer les centrales qui n’y répondaient pas, alors que les anciens rejetaient le paquet de Loyola de Palacio. Il a fallu attendre 2009 pour parvenir à une directive sûreté (et 2011 pour une directive Déchets), mais sans normes communes. Espérons que les critères et les modalités de ces nouveaux tests permettent un progrès.

La « bataille » des normes sera des plus rudes, car se joue aussi le choix du type de centrales. Faut-il encourager la sûreté passive, favorisant l’AP1000 de Westinghouse et Toshiba, ou des redondances actives favorisant l’EPR d’Areva ? Faut-il exiger des enceintes de confinement, et fermer les centrales d’origine russe ? Faudra-t-il envisager le terrorisme et la chute d’avions, comme le propose le commissaire Öttinger ? Faut-il une Autorité de sûreté nucléaire européenne ? Et quid de la solidarité en cas de crise ? Le gaz européen a maintenant sa Force de Réaction Rapide, mais pas encore le nucléaire ! Ouvrons le débat public européen, et inscrivons-le dans la feuille de route de la Commission pour 2050. Les Verts accusent le « lobby nucléaire » de cacher la vérité, mais le « lobby éolien et solaire » ne trompe-il pas son monde en cachant la vérité des prix ? 80% renouvelables, c’est impossible sans une baisse drastique de la consommation et sans un prix du KWH durablement très élevé. Le nombre des « powerpoors » risque d’exploser ! Défendre une technologie c’est bien, mais il faut tout mettre sur la table, et assumer les choix sociaux correspondants !

Certes, le nucléaire coûtera plus cher, mais - même en internalisant les coûts d’une sûreté plus élevée (prolongation des centrales, démantèlement et gestion des déchets) - il sera à fourniture égale encore moins cher que l’éolien ou le photovoltaïque dont le coût du combustible est nul mais dont la productivité du capital restera toujours faible. Le doute s’est emparé de certains pays comme la Pologne, ou l’Italie qui retarde sa consultation populaire sur la relance du nucléaire. L’Europe va connaître une « césure nucléaire » pour se réorganiser, mais ne doit-elle pas éviter l’hibernation nucléaire des années 90, avec sa désorganisation et sa perte de compétences, ce qui mettrait encore plus sûrement l’avenir de la sûreté en cause ?

Claude Fischer, Présidente de Confrontations Europe

 

 

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