Courrier à la Commission Européenne pour la poursuite de ses errements
sur la place du nucléaire dans les politiques européennes et sur le marché de l'électricité
Madame Ursula Von der Leyen
Présidente de la Commission européenne
Madame la Présidente,
En tant que représentantes de la Société Civile agissant pour le Climat, les associations Sauvons le Climat et PNC-France sont préoccupées par de récentes prises de position et documents relatifs à la politique européenne de l’énergie, susceptibles d’avoir un lourd impact négatif sur le climat.
Dans l’environnement actuel géopolitique, climatique, énergétique, social, et donc sociétal, nous considérons que les actions engagées au niveau européen ne sont pas à la hauteur des enjeux climatiques. La priorité n’est pas placée où elle devrait l’être, à savoir la maîtrise des émissions de CO2, la relance de notre industrie et l’intérêt du citoyen européen. Le projet de « Delegated Act on H2 » de la Commission européenne montre une nouvelle fois que l’idéologie l’emporte sur le pragmatisme et l’efficacité.
Nous relevons qu’un consensus s’impose autour de l’importance du vecteur électricité pour décarboner nos sociétés. Ce vecteur doit être un très faible émetteur de GES, économique, et disponible en continu au niveau requis, ce qui impose qu’il soit très largement pilotable. Paradoxalement, et contre toute logique, la Commission persiste à centrer toute la politique électrique sur un développement exclusif, massif et coûteux des énergies renouvelables intermittentes. Cette situation n’est pas nouvelle, mais elle est inacceptable à l’heure de la crise énergétique que nous traversons. Il est temps de mettre en œuvre des réformes structurelles profondes du système énergétique.
Trois dossiers actuels démontrent la nécessité d’une remise à plat de la politique énergétique, et particulièrement de celle concernant le développement attendu, considérable, de la production d’électricité décarbonée en substitution aux énergies fossiles.
A – Le Projet de Règlement Délégué, publié fin février par la Commission, propose des règles détaillées pour la production de combustibles gazeux et liquides renouvelables pour le transport. Concrètement, il s’agit de production d’hydrogène par électrolyse. La presse (par ex. Euractiv) s’est faite l’écho d’une réelle confrontation des positions au sein du Conseil européen, avec pour résultat un projet final qui n’est pas satisfaisant, bien qu’entrouvrant la possibilité d’une production d’hydrogène à partir d’électricité d’origine nucléaire, en particulier via l’Article 4 point (2), dans des zones où l’électricité est produite avec une faible empreinte carbone (comme en France grâce à son important parc nucléaire ou en Suède). En effet, le point (a) de l’Article précité utilise les mots « par des installations produisant de l’électricité renouvelable ». Et l’Article 2 point (3) du projet renvoie à l’Article 2 point (1) de la Directive UE 2018/2001 qui établit la liste exhaustive des installations produisant de l’électricité renouvelable. Or, le nucléaire ne se trouve pas dans cette liste. La raison de cette situation très ambiguë vient de l’incapacité de la Commission européenne à se prononcer une fois pour toutes en faveur d’une véritable maîtrise des causes du changement climatique. Toute proposition concernant le climat devrait prendre en compte en priorité absolue le caractère décarboné de la production électrique et sa performance en termes d’émissions de GES, sans restriction : ce n'est pas la ligne de la Commission européenne qui privilégie systématiquement les productions renouvelables intermittentes alors que leur efficacité reste très modeste, comme en témoigne la médiocre performance en matière de maîtrise des émissions de GES de la plupart des pays européens qui ont fait ce choix. Rappelons qu’en vertu du principe de subsidiarité défini à l’Article 5, paragraphe 3, du Traité de l’Union européenne, le choix des technologies à exploiter est du ressort des États membres en fonction de leurs ressources, et non de la Commission européenne qui, pour sa part, doit rester garante d’un objectif en matière d’émissions de GES qui doit rester réaliste.
B – L’état de crise résultant des positions radicales d’une minorité de pays vis-à-vis du nucléaire, ainsi que l’hostilité constante de la Commission et de certaines de ses directions, a contraint onze États Membres, à l’initiative de la France, à présenter au Conseil de l’Energie une déclaration rappelant la nécessité d’une prise en compte du nucléaire comme contributeur essentiel à un futur mix énergétique bas carbone. Cette déclaration, essentielle, implique l’exigence d’une présence du nucléaire dans toutes les réglementations européennes en faveur du climat, au même titre que les énergies renouvelables, et aux mêmes conditions. En conséquence, ces États devraient s’opposer par tous les moyens y compris, si nécessaire, par un blocage de l’institution européenne, à une politique qui tourne le dos à ses engagements climatiques et qui s’enferme exclusivement dans des paris technologiques fragiles et coûteux.
C- La troisième situation est relative à la réforme, en préparation, du marché de l’électricité. Se dessine une réforme partielle se focalisant sur une seule défaillance du marché : son incapacité à donner les bons signaux de long terme pour les investissements intensifs en capital (nucléaire et renouvelables). Cela va dans le bon sens, mais est notoirement insuffisant.
- L’expérience vécue montre que l’organisation du marché européen exige une réforme de fond. Cette nécessité est incontournable, compte tenu de la diversité des moyens de production développés dans chaque pays, conformément aux choix de chaque État. Les politiques antagonistes des États membres sont telles que les coûts moyens de production du MWh sont très différents d’un pays à l’autre. Une organisation du marché qui conduirait à faire supporter les conséquences économiques des choix d’un État aux autres pays membres serait profondément inéquitable et doit être écartée.
- Un second défaut du marché est son fonctionnement par ordre de mérite évalué de manière inadéquate. Au-delà du problème maintenant prouvé de l’impact des prix du gaz, qui doit être résolu par des moyens autres que par des « chèques énergie », une autre faille majeure résulte de la priorité d’accès accordée aux sources renouvelables intermittentes sur la base de leur coût marginal nul, sans prise en compte des coûts supplémentaires associés à la compensation de leur intermittence, coûts actuellement supportés par les producteurs utilisant des moyens pilotables, sans même parler des coûts réseaux liés à la décentralisation de la production, directement supportés par les consommateurs. Ce défaut devrait devenir de plus en plus prégnant avec la mise à l’arrêt de dizaines de GWe de centrales à charbon et lignite (voire nucléaires dans certains pays), ce qui diminuera le niveau de pilotabilité du mix, augmentera fortement la pression sur les moyens pilotables actuels, et entrainera des besoins de compensation par tous les moyens nécessaires (nouveaux moyens pilotables au gaz, stockages par batteries ou autres, effacements ou flexibilités, etc.), tous très coûteux. Ces coûts supplémentaires devraient logiquement s’ajouter, de façon transparente, aux coûts directs des moyens intermittents.
En conséquence, dans la perspective du bouleversement technologique majeur qu’implique la transition énergétique vers une société décarbonée, la Commission européenne doit préparer une réforme de fond, dont les deux priorités sont la lutte contre le changement climatique et la sécurité d’approvisionnement. A cet effet il faudra développer massivement une électricité décarbonée dont la production est maîtrisée et pilotable, compétitive et largement européenne.
Les tensions politiques persistantes entretenues par l’antinucléarisme aveugle de quelques États membres sont insupportables et mettent en danger l’unité européenne. Il est essentiel de revenir à la source de l’ambition européenne avec une politique conforme à l’Article 194.2 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne, et en ligne avec la dimension promotionnelle du Traité Euratom.
Nous voulons croire, Madame la Présidente, que vous serez sensible aux éléments développés ci-dessus et que vous prendrez pleinement la mesure de la gravité de la situation. Il en va de la crédibilité de l’action de la Commission européenne.
Nous vous prions, Madame la Présidente, d’agréer, l’expression de nos respectueux hommages.
M. Eric Maucort Bernard Accoyer
Président de Sauvons le Climat Président de PNC-France