Marc DEFFRENNES

Texte proposé par Marc DEFFRENNES

weCARE (dont SLC est Membre Fondateur)

Trop peu de nucléaire dans la politique énergétique proposée
par la Commission Européenne 

Le 13 juin la Commission Européenne a publié son PINC (Programme Indicatif Nucléaire de la Communauté). Elle est tenue de le faire de manière régulière d’après l’article 40 du Traité Euratom, qui rappelons-le, est promotionnel[1]. Se basant sur les NECPs (Programmes Nationaux Energie Climat des États Membres), trois scénarios y sont envisagés pour 2050. Le scénario bas vise environ 90 GW de nucléaire (70 de gros réacteurs et 20 de SMR - chiffres arrondis) - moins que la capacité totale d’aujourd’hui. Le scénario haut 200 GW (150 de gros et 50 de SMR). Le scénario moyen est à 145 GW (110 de gros et 35 de SMR). Pour les gros réacteurs, divers cas de LTO (Long Term Operation) sont considérés. Pour le scénario moyen, les investissements pour les gros réacteurs sont estimés à 241 Milliards d’Euros, ce qui nous paraît assez peu. Le PINC revient sur les difficultés d’investissements, mentionnant le recours à des PPA (Power Purchase Agreements), CfD (Contracts for Difference) et le RAB (Regulated Asset Base) comme moyens possibles pour que des projets se réalisent.

Dans l’ensemble, les échos sur le PINC sont positifs, en particulier venant de l’industrie nucléaire, qui y reconnaît l’évolution positive du dossier nucléaire au niveau européen, comparée à la situation d’il y a encore quelques années. Les scénarios du PINC sont par ailleurs très proches de ceux retenus par NuclearEurope (100, 150, 200 GW - Rapport Compass Lexicon), dont le but premier était d’étudier les impacts bénéfiques de capacités nucléaires croissantes, en particulier en termes environnementaux et économiques.

On ne peut cependant manquer de relever que le scénario moyen du PINC ne correspondrait qu’à une contribution de l’ordre de 15 % de la consommation électrique de l’UE en 2050, compte tenu d’un doublement attendu de l’électrification des usages. Ceci correspond donc toujours à la vision de la Commission de 2018 (Clean Planet for All), avec deux « piliers » (backbones) pour la décarbonation, les renouvelables pour 85 % et le nucléaire pour 15 %. La Commission, malgré des effets d’annonce, n’a donc pas évolué d’un iota sur le rôle que le nucléaire devrait jouer dans le mix électrique européen. Se rappelant que le nucléaire a historiquement fourni près de 35 % de l’électricité, et fournit aujourd’hui encore 23 %, les scénarios proposés par le PINC correspondent donc à une forte réduction de la contribution du nucléaire au mix électrique décarboné du futur. Cela correspond-il vraiment à un optimum économique de long terme ?

Comme weCARE l’avait écrit en s’adressant à la Commission lors de la préparation du PINC, il manque encore et toujours une étape préliminaire fondamentale avant la rédaction de documents de politique énergétique tels que le PINC : une approche systémique globale du mix électrique, visant une optimisation économique pour un coût minimal de l’électricité livrée au consommateur final, ménages et industrie, et cela en veillant à ce que tous les coûts associés à un mode de production soient correctement attribués à ce mode de manière transparente. On en est encore très loin.

Des initiatives européennes importantes ont été lancées dans les derniers mois - en particulier le « Clean Industrial Deal » et le « Net Zero Industry Act », reconnaissant l’absolue nécessité de réindustrialiser l’Europe, tout en maintenant la dynamique de la décarbonation de l’économie. L’énergie doit être au centre des préoccupations car elle est le sang de l’économie. Le mix énergétique doit être optimisé de façon à être le plus économique possible, abordable et fiable pour les consommateurs, en plus d’être décarboné. Le nucléaire doit y retrouver une place centrale et prioritaire. Il y va de la durabilité de notre société. Le nucléaire ne doit pas être, et ne peut pas être la roue de secours des renouvelables intermittents. Sa dimension très capitalistique en fait une énergie de baseload, comme cela a toujours été le cas. L’imposition de cibles toujours croissantes de renouvelables intermittents doit donc être bannie et remplacée par une optimisation globale du système électrique.

Au-delà des grandes visions et des choix optimisés, il est ensuite nécessaire de mettre en place les mécanismes concrets d’implémentation. En particulier la préparation du « Multiannual Financial Framework » (le budget de l’Union Européenne pour les 7 années à venir à partir de 2027) et des outils de (support au) financement associés donne à l’Union Européenne une opportunité pour corriger des années d’errement en termes de politique énergétique.

L’Union saisira-t-elle sa chance de remettre les intérêts des consommateurs (ménages et entreprises) au centre de ses priorités énergétiques pour leur fournir une électricité la plus propre, abordable et fiable possible ? Le nucléaire doit y avoir toute la place qui est nécessaire, au-delà de ce qui est proposé dans le PINC. Il n’existe en effet à ce jour aucune démonstration qu’un grand réseau interconnecté avec 85 % de sources renouvelables puisse servir sur le long terme une économie européenne revigorée. À moins de se satisfaire de la décroissance.

Marc Deffrennes
weCARE (dont SLC est Membre Fondateur)

 

[1] Extrait du Traité Euratom explicitant sa nature promotionnelle :
Art 1. La Communauté a pour mission de contribuer, par l'établissement des conditions nécessaires à la formation et à la croissance rapides des industries nucléaires, à l'élévation du niveau de vie dans les États membres …
Art 2. … c) faciliter les investissements, et assurer, notamment en encourageant les initiatives des entreprises, la réalisation des installations fondamentales nécessaires au développement de l'énergie nucléaire dans la Communauté, …
… h) instituer avec les autres pays et avec les organisations internationales toutes liaisons susceptibles de promouvoir le progrès dans l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire.

 

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