Etudes scientifiques

Relation entre production éolienne et température sur la période de Novembre 2010 à Février 2011

  • Publié le 6 mai 2011
Hubert Flocard
  • Electricité
  • Eolien et solaire

 

Hubert FLOCARD

 

Résumé

Chaque année, les épisodes les plus froids d’un automne et d’un hiver successifs surviennent durant un des quatre mois de Novembre, Décembre, Janvier et Février. Chaque année, c’est aussi durant cette période qu’on observe les pics de la consommation électrique française, pics pour lesquels le réseau électrique doit faire appel à tous les modes de production qu’on peut dispatcher (nucléaire, thermique, hydraulique) et parfois à des importations. Grâce aux données que RTE a récemment mis à la disposition du public sur son site eCO2mix, il est maintenant possible d’évaluer l’apport de l’éolien au moment où le pays a le plus besoin d’électricité. La comparaison des évolutions des températures d’une part et de la production d’électricité éolienne d’autre part montre que, sur le dernier automne-hiver, elles sont  corrélées positivement. Autrement dit, quand les températures sont tièdes, le vent souffle. Au contraire, lorsqu’il fait très froid et que l’appel d’électricité est important la production éolienne est faible. Cette énergie renouvelable ne semble donc pas pouvoir aider la France à confronter le défi de ses futurs pics de consommation hivernale.

 

1) Introduction

Par « période froide », nous entendons les quatre mois successifs de Novembre, Décembre, Janvier et Février. C’est pendant cette période que, sur les trente dernières années  les demandes extrêmes de puissance électrique appelées par le pays ont été enregistrées.

On sait qu’on ne peut pas compter sur le solaire photovoltaïque pour couvrir la demande d’électricité du début  des soirées hivernales, vers 19h (moment typique des pics de consommation). De ce fait, dans les schémas énergétiques qui accordent aux énergies renouvelables une part importante (voire exclusive) dans la production électrique[1], c’est à des modes de production comme l’éolien que devrait revenir la tâche de participer activement à la couverture des maxima de la demande électrique.

L’électricité se stockant difficilement et en quantité limitée (essentiellement sous forme d’énergie hydraulique), la moyenne (effectuée sur un mois, un trimestre, un an) de la production d’une énergie fatale comme l’éolien ne permet pas de juger de son efficacité réelle et conduit même à des interprétations erronées. Ainsi, bien que la production mensuelle d’énergie éolienne des mois de Mai à Septembre soit globalement bien plus faible que celle des mois d’automne et d’hiver on ne peut en déduire (et écrire) qu’il existe une bonne adéquation entre les besoins d’électricité et la production d’énergie du vent.

 Il est par contre essentiel d’analyser avec une granularité temporelle fine l’évolution de la production éolienne pendant ces quatre mois froids si on veut estimer son impact véritable sur la gestion du réseau électrique français lors des épisodes hivernaux les plus rigoureux.

 

Dans ce document nous étudions l’énergie éolienne produite quotidiennement (données extraites du site du Réseau de Transport d’Electricité, RTE[2]). Elle est comparée à l’évolution des températures moyennes journalières relevées à la station météorologique de Toussus le Noble[3]. Ce site a été choisi pour deux raisons. Tout d’abord, éloigné d’une grande ville, il est protégé des distorsions de températures associées à toute agglomération. De plus, il se situe aussi à peu près au centre de gravité géographique de l’implantation de la puissance éolienne installée française (voir site ADEME[4]).

Ce travail vient en complément de deux analyses publiées par SLC des mêmes données RTE. L’une[5] portant sur les quatre derniers mois de 2010 met en évidence les comportements différents de l’ensemble des modes de production pilotables et de l’éolien ainsi que leur capacité à répondre aux besoins en électricité du pays. L’autre (en langue anglaise)[6] calcule le maximum de réduction des émissions CO2 de la France qu’on peut attendre de la réalisation du programme éolien décidé à la suite de Grenelle de l’Environnement.

 

2) Résultats

Considérant les quatre mois de la période froide 2010-2011, on a porté sur la figure 1 l’ensemble des informations fournies par RTE. On observe déjà une coïncidence fréquente des journées de plus forte production éolienne et de celles où les plus hautes températures ont été observées.[7]

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On note qu’au contraire de ce qui s’est passé en Janvier 2010 quand une vague de froid s’est abattue sur l’Europe, la première quinzaine du mois de Janvier 2011 a été relativement chaude. De ce fait, les rendements de production éolienne ont été meilleurs qu’en 2010. Ceci a eu lieu alors que les données RTE indiquent que, précisément parce que les températures étaient clémentes, la production des centrales à charbon était quasi nulle. Comme le montre la discussion dans l’appendice B de la référence 6, plus d’éoliennes n’aurait donc pas permis d’effacer une puissance électrique émettrice de CO2.

Les deux courbes de la figure 1 permettent de distinguer trois types différents d’épisodes météorologiques :

·         Pendant les premières quinzaines de Novembre et de Janvier, certains jours, on a observé de fortes hausses des températures (par rapport à la moyenne du mois bien sûr). Elles sont associées aux passages de dépressions atlantiques tièdes. Ce sont aussi des moments de grande production éolienne.

·         La seconde moitié du mois de Novembre correspond à la configuration typique de l’établissement d’un anticyclone froid et stable[8]. Cet état calme se caractérise par une baisse graduelle de la température moyenne et une production éolienne très faible.

·         Finalement pendant le mois de Décembre un front froid a avancé et reculé sur le territoire. Les températures moyennes sont restées basses. La production éolienne a évolué de faible à moyenne en relation avec les déplacements de de la frontière de l’anticyclone et  des vents qui sont associés à cette frontière.

Une autre façon d’analyser ces mêmes données est fournie en figure 2. On y considère la corrélation entre d’une part le facteur de charge éolien journalier et les températures moyennes à Toussus le Noble.  

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Pour une telle étude, le facteur de charge moyen journalier défini comme le rapport de l’énergie livrée au réseau en un jour au produit de la puissance installée par 24h est la quantité plus adaptée à la comparaison des performances éoliennes d’un jour à un autre.

 En dépit d’une certaine dispersion des points sur la figure 2, on observe bien qu’en période automne-hiver les éoliennes sont plus efficaces (jusqu’à 70%) lorsqu’il fait (relativement) plus chaud. En période froide, leur efficacité moyenne journalière peut chuter en dessous de 10%.

Pour visualiser cette tendance, on a ajouté en figure 2 la régression linéaire construite sur ces points. Pour une définition de ce concept on pourra par exemple consulter utilement http://fr.wikipedia.org/wiki/Régression_linéaire.  Il nous suffira ici de la définir comme la droite qui fournit la meilleure impression de la tendance moyenne d’une distribution de points. Sur la base des données RTE de ces quatre mois, on peut dire qu’en moyenne, en saison froide, la production d’énergie éolienne s’accroit de 13% quand la température s’élève de 10°C.

 

Analysons maintenant de la même façon la consommation électrique. La figure 3 est construite de façon analogue à la figure 1, l’énergie électrique consommée en un jour y remplace (échelle de gauche) le facteur de charge éolien moyen.

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Cette fois-ci au lieu d’une corrélation positive comme pour le facteur de charge éolien, on observe une corrélation négative. Ceci correspond au phénomène bien connu de renforcement de la demande d’électricité quand le pays se refroidit.

On notera qu’en ce qui concerne la consommation électrique, à l’effet « température » se rajoutent des effets « sociologiques ». Ainsi avec une fréquence hebdomadaire on observe, sur deux jours, des baisses de consommation liées à l’effet « weekend ». De même un effet « congé de fin d’année » est observable sur la seconde quinzaine de Décembre (abscisses 46 à 61).

Une autre illustration de l’anti-corrélation entre température et consommation est fournie par la figure 4. La décroissance de la demande électrique lorsque la température s’accroit y est bien discernable[9]. Les fluctuations autour de la tendance moyenne donnée par la régression linéaire sont plus faibles que dans le cas de l’éolien. Ceci pourrait s’interpréter en disant  que « le comportement de la Société quand la température change est plus facile à deviner que celui du vent ». 

En moyenne (selon la régression linéaire), la demande journalière des quatre mois froids du dernier hiver a augmenté de 35 GWh quand la température a baissé de 1°C. Cela correspond à un besoin de puissance supplémentaire moyenne de 1,5 GW soit à peu près celle d’un réacteur nucléaire de type EPR. 

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3) Conclusion

Durant la période froide, celle où les tensions sur le réseau sont les plus fortes, l’énergie livrée par le parc éolien français est abondante lors du passage des dépressions atlantiques tièdes et au contraire faible pendant les périodes anticycloniques froides. Elle montre donc une corrélation positive avec les températures et négative avec les besoins en électricité de la société française. En conséquence, on peut dire :

-          Que la production  éolienne, bien que plus forte en moyenne en hiver qu’en été,  contribue mal à la satisfaction de nos besoins lors des périodes les plus froides de l’année.

-          Qu’on peut s’attendre à la même situation en été puisque les périodes très chaudes sont-elles mêmes souvent anticycloniques.

-          Qu’en période très froide (voir deuxième quinzaine de novembre sur la courbe 1 mais aussi janvier 2010) on observe des périodes prolongées de vent faible et de fourniture éolienne très limitée, avec pour conséquence la nécessité de disposer d’une puissance de réserve importante.

-          Qu’en demi-saison, quand les besoins sont faibles et que les centrales à combustibles fossiles sont majoritairement arrêtées, l’éolien se substitue déjà presque complètement, malgré sa puissance actuelle limitée (moins de 6 GW) à des centrales non carbonées. Il n’induit donc pas de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Ces remarques prendront plus de poids lorsque le niveau de puissance installée de l’éolien français aura fortement augmenté (25 GW sont prévus pour 2020). On peut alors s’attendre une gestion plus difficile de l’équilibre production-consommation. On peut déjà noter à ce sujet que les pays ayant développé de forts programmes éoliens sont conduits à arrêter une partie de la production éolienne lors des périodes venteuses associées à de faibles demandes.

 


[1]On consultera par exemple le document « Roadmap 2050 ; a practical guide to a prosperous low carbon Europe » http://www.roadmap2050.eu/ ou les documents produits par le ministère de l’écologie allemand. On notera que, pour étayer son argumentation, le premier document travaille sur des données de demande de consommation simulées qui ne considèrent pas la possibilité de longues périodes anticycloniques hivernales comme celle que l’Europe a subi par exemple en Décembre 2007, en Janvier 2010 et sur la fin Novembre-début Décembre 2010.

[2]http://www.rte-france.com/fr/developpement-durable/maitriser-sa-consommation-electrique/eco2mix

-consommation-production-et-contenu-co2-de-l-electricite-francaise#mixEnergetique

[7]On gardera en tête que les températures sont affectées d’une tendance moyenne d’allure parabolique (plus hautes au début et à la fin de la saison froide qu’au cœur de l’hiver). On pourrait imaginer l’éliminer en retranchant la valeur moyenne des températures sur les vingt dernières années.

[8]Pour d’autres exemples (Allemagne Janvier 2010, Danemark Décembre 2007) de ce même type de comportement à la fois du vent et des températures lors de l’installation d’un anticyclone froid on se reportera à l’appendice B du document SLC en référence 5.

[9]Pour tenir compte des baisses de consommations structurelles liées aux effets  « weekend » et « congés de fin d’année », on pourrait envisager de faire des analyses séparées des jours ouvrés et des jours fériés.  Cependant pour conserver la qualité statistique de l’analyse, nous n’envisageons de le faire que lorsque nous disposerons des données de plusieurs années. Notons d’ailleurs que si les réductions de consommation d’origine sociologique (liées au ralentissement de l’activité économique du pays pendant les jours fériés) ne sont pas corrélées aux évolutions de la température, le mélange des deux ensembles de points (ouvrés et fériés), comme cela a été fait ici, n’affectera pas au premier ordre la pente de la régression linéaire.

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