Jean Leroy
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  • La Transition Energétique

Le 3 octobre 2015

 Madame la Députée,

 

            J'ai écouté avec un vif intérêt votre intervention sur France Inter le 10 septembre, comme «Invitée du jour ».

Je partage votre analyse selon laquelle l'ultralibéralisme financier conduit le monde à une  impasse dramatique et qu'un  changement radical des bases de notre civilisation est indispensable et urgent. Il faut aller vers une certaine modération de la consommation, et vers une économie où la coopération et le partage sont plus importants que la compétition à outrance, et la volonté de domination.

 

Le risque climatique

            Or, l'utilisation massive des combustibles fossiles, par les économies développées, est un aspect important de notre civilisation mondiale. Elle conduit à un  réchauffement du climat qui va avoir des conséquences très néfastes pour beaucoup de populations humaines. Si la prochaine conférence COP21 sur la climat n'aboutit pas à des actions concrètes de tous les pays, en particulier les gros consommateurs,  on dépassera la limite d'échauffement de 2 degrés qui avait été définie par les experts reconnus internationalement. Si des changements importants des politiques énergétiques des différents états  ne sont pas réalisés, un échauffement de 4 degrés pourrait se produire vers la fin de ce siècle, ce qui aurait des conséquences véritablement catastrophiques.

            Il faut donc économiser l'énergie et remplacer les combustibles fossiles par des sources d'énergies thermiques et électriques émettant le moins possible de polluants, notamment le CO2. Il existe pour cela une variété de moyens, notamment l'hydroélectricité, les éoliennes, les capteurs solaires thermiques ou photovoltaïques, la biomasse (bois énergie), et les réacteurs nucléaires électrogènes. La manière de combiner tous ces moyens n'est pas unique et chaque pays doit choisir ce qui lui convient le mieux compte tenu de ses ressources naturelles et de l'état de ses capacités technologiques.

 

 Comment réduire la production de CO² ?

            En ce qui concerne la France, elle a depuis longtemps équipé l'essentiel de son potentiel hydroélectrique. Dans les régions où le bois est abondant, il peut être utilisé de façon satisfaisante dans appareils de combustion, de conception récente, qui ont un bon rendement et sont très peu polluants ; l'amélioration de l'isolation thermique des locaux d'habitation est à poursuivre. L'électronucléaire a permis à la France d'avoir actuellement une très bonne position vis à vis de la production de CO2 par habitant. En ce qui concerne les éoliennes, malgré un programme ambitieux de construction, la contribution  reste faible à cause de l'intermittence et la variabilité du vent. Cette caractéristique, qui est partagée par l'électricité photovoltaïque, est fondamentale et on recherche des moyens de stockage pour régulariser la production, mais il est clair que cela augmentera très nettement le coût du kwh. Mais aucune des technologies actuellement opérationnelles ne peut assurer le stockage de masse qui serait nécessaire.  La satisfaction des besoins incontournables des usagers impose la disponibilité de moyens de remplacement pour palier  l'intermittence de moyenne ou longue durée. S'il s'agit  de centrales à flamme,  l'objectif de réduction du CO2 est perdu de vue (c'est le cas de la stratégie de l'Allemagne). Si ce sont des centrales  nucléaires, on peut s'interroger sur l'intérêt d'une telle stratégie

 

 Y a-t-il un dogme anti-nucléaire ?

            Dans le dialogue avec les auditeurs du 10 septembre, la question de l'opportunité de réduire la contribution du nucléaire  est apparue, en particulier au sujet de  l'arrêt prochain de la centrale de Fessenheim. Vous déploriez (il me semble) que cet arrêt soit retardé, voir remis en cause, bien que ce soit une promesse électorale du président Hollande. Alors quelles sont les vraies raisons de cette insistance est-ce une simple question de politique politicienne ou y a-t-il des raisons objectives ? Alors lesquelles ?

-Serait-ce le coût du nucléaire ?

- Serait-ce la sûreté ?

- Serait-ce l'irradiation des populations ?

- Serait-ce le conditionnement final des déchets radioactifs ?

- Serait-ce l'idée qu'on pourrait remplacer sans inconvénient les réacteurs électronucléaires par des éoliennes et des panneaux photovoltaïques ?

            Toutes ces questions doivent en effet être posées, mais les réponses données par les gens de la mouvance « Sortons du nucléaire » sont bourrées d'inexactitudes et même de contre-vérités. Par exemple, les effets de l'intermittence des éoliennes et panneaux photovoltaïques sont gravement sous estimés  ou sont même carrément ignorés alors qu'il s'agit d'une question cruciale.

C'est une approche destinée à susciter dans le public la peur de la technologie nucléaire plutôt que d'informer honnêtement les citoyens. Heureusement il existe de nombreux documents donnant des réponses objectives à ces questions, parmi eux citons le dernier livre de Pierre Bacher.[1]

             Mais le résultat final est que l'analyse rationnelle ne conduit absolument pas à la nécessité de diminuer ou même d'arrêter les réacteurs nucléaires qui sont nécessaires si on veut réellement diminuer drastiquement l'usage des combustibles fossiles, notamment dans les transports pour lesquels l'énergie de remplacement ne peut être que l'électricité, directement ou indirectement

            Dans le contexte du réchauffement climatique rappelé ci-dessus, on peut alors se demander pourquoi la « transition énergétique » prônée par notre gouvernement porte sur une sortie  du nucléaire alors qu'on devrait plutôt sortir du pétrole ?

 

 Choisir la rationalité ou bien  le ressenti et la rumeur   

            En réalité, le débat ne se limite pas à l'analyse rationnelle. Dans la pensée humaine le niveau rationnel est accompagné d'un niveau imaginaire et affectif qui ne fonctionne pas de la même manière. Edgar Morin a dit « l'humain est sapiens et demens », c'est sa force et son ambiguïté. Avant lui, Blaise Pascal avait noté : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas »,  et il distinguait l'esprit de géométrie et l'esprit de finesse. Ces deux approches sont également légitimes et ne doivent pas être opposées mais sont complémentaires car elles ne s'appliquent pas aux mêmes sujets. Les questions qui relèvent de choix personnels ne peuvent pas être décidées selon une  méthode rationnelle pure, au contraire les questions qui surgissent dans un domaine de réalités objectives ne doivent pas être traitées comme des opinions vouées à un libre arbitre absolu.

Dans la période préscientifique, seule l'approche imaginaire était disponible et l'explication des mystères du monde était donnée par des mythes ; par exemple, celui de Prométhée  qui, ayant dérobé le feu du ciel, avait subi une punition éternelle de la part de dieux.

            Avec les progrès de la pensée scientifique, le 19ème siècle a vu éclore le rationalisme  qui a balayé tout cela. Mais le 20ème et le 21ème ont découvert les limites du rationalisme et l'ambivalence bénéfique/maléfique des technologies issues des développements scientifiques. La complexité des technologies fait que le public est obligé de ses fier à des « experts » pour se faire une opinion. De plus l'image a  maintenant un pouvoir qui tend à devenir dominant. Dans le cas qui nous a occupe, celui de la bonne transition énergétique, il faut se rappeler que pour un grande partie du public, l'image du nucléaire, c'est la bombe terrifiante ; les radiations dont il faut se méfier ne sont pas perceptibles directement par nos sens. Tout cela incite à la méfiance.

Au contraire  le vent, le soleil sont des signes bénéfiques dans toutes les mythologies, si on néglige les événements catastrophiques qu'ils engendrent périodiquement.

Cependant, du point de vue de la physique, il existe une parenté étroite entre l'énergie du soleil et l'énergie de fission : les deux processus exploitent le réarrangement des structures de noyaux pour les faire  évoluer vers un état plus stable en dégageant une énergie utilisable pour d'autres transformations. Le stockage d'énergie en grande quantités que nous cherchons laborieusement  à réaliser a donc été prévu de tous temps par la nature, en mettent à notre disposition des structures qui recèlent une quantité énorme d'énergie qu'il nous est possible de libérer pour notre usage.

Le mythe de Prométhée qui avait volé le feu aux dieux est totalement obsolète,  ce feu nucléaire du ciel est un cadeau que nous avons reçu de la nature, il nous appartient de l'utiliser avec intelligence et prudence.

 

Conclusion :

            Les perspectives de l'évolution du climat de la planète sont extrêmement alarmantes et cela risque d'avoir des conséquences catastrophiques, d'abord sur des populations pauvres. Cela  conduirait  à des transferts de masse de populations affamées  et à de terribles conflits. Il appartient à chaque nation de participer  à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, en utilisant pour cela tous les moyens à sa disposition. Il y a urgence et on ne peut pas attendre le développement de moyens nouveaux  actuellement inopérants. Et on ne peut pas compter simplement sur les autres.

Notre pays, bien que de taille modeste, à une responsabilité particulière à double titre : il accueille et préside la prochaine conférence COP21 qui doit aboutir à des  résultats concrets. Et d'autre part il dispose d'une technologie nucléaire éprouvée qui lui donne une position exemplaire dans l'émission de CO2.  Dans la situation présente c'est un atout à préserver. Quand un navire risque de sombrer dans la tempête, on ne commence pas par saborder les embarcations de sauvetage, même si elles sont insuffisantes.

  Madame la Députée, je crois savoir que vous avez toujours eu  dans votre action le souci des gens en difficulté, et une menace grave pèse sur des millions de gens et sur nos enfants. Nous avons un outil utile dans cette situation, il faut l'utiliser et non pas le détruire, car les risques qu'il comporte sont vraiment minimes par rapport à ceux de la situation climatique qui s'annonce.

J'ose espérer que toutes les personnes qui ont souci de l'environnement sauront dépasser les peurs héritées d'événements du passé ainsi que les motivations partisanes ou idéologiques et que nous saurons réorienter une transition énergétique qui part dans la mauvaise direction.

 L'association « Sauvons le climat » dont je suis membre est à votre disposition pour échanger sur ce sujet.

 

 

Recevez, Madame la Députée, mes salutations respectueuses.

 

Jean Leroy

 

 


[1]           « Le Credo antinucléaire, pour ou contre ? » Odile Jacob, mai 2012

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