Hervé NIFENECKER
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Astrid : une chance pour le climat et pour la France

 

Résumé : Alors que le tout récent rapport du GIEC alerte une nouvelle fois sur la nécessité absolue de limiter les émissions de gaz à effet de serre, l'abandon du programme de développement du prototype de réacteur de 4ème génération Astrid, sans réel fondement économique, marquerait la triste démission de notre pays face à une technologie qui devrait être cruciale dans la lutte contre le changement climatique. 

Version pdf disponible : Astrid

Lors de la COP21, le GIEC avait imposé aux scénarios énergétiques dignes de figurer dans son rapport (le 5ème du genre) de limiter le RCP (Representative Concentration Pathway)) à 2,6 W/m2 [1] , correspondant à un augmentation de température moyenne de la surface terrestre de 2°C depuis 1850. Pour respecter cette limite les émissions cumulées de CO2 ne devraient pas dépasser 900 milliards de tonnes en 2100.

[1] Un RCP 2,6 W/m2 signifie que la chaleur supplémentaire reçue en moyenne par la surface terrestre du fait de l’effet de serre est équivalente à celle qui serait reçue si l’irradiation solaire moyenne de 340 W/m2 était augmentée de 2,6 W/m2. Une telle augmentation correspondrait à une augmentation de la température moyenne de la surface terrestre de 2 degrés Celsius.

La COP21 a décidé d’étudier les conséquences de la diminution de l’augmentation acceptable à 1,5 °C. Les scénarios susceptibles de respecter cette limite sont décrits dans le rapport spécial SR15 paru le 9 octobre 2018. Avec cette nouvelle limite les émissions cumulées de CO2 ne devraient pas dépasser 600 milliards de tonnes en 2100.

L’IIASA (International Institute for Applied System Analysis) de Vienne a réalisé la famille de scénarios[2] MESSAGE caractérisés par une population atteignant 9,5 Mds d’humains en 2100 et un PIB mondial de 366 000 Mds de dollars (à comparer aux 45 237 Mds de dollars en 2010) :

  • Le scénario Supply se situe dans la continuité des évolutions actuelles avec une consommation mondiale d’énergie finale de 755 EJ/an[3] en 2100 (343 en 2010).
  • Le scénario Efficiency est un scénario « écologique » de sortie du nucléaire avec une consommation d’énergie finale de 427 EJ/an en 2100.

Des variantes « nucléarisées » des scénarios Supply et Efficiency, indiquées ici par le suffixe –N , ont été publiées par le groupe GISOC (Global Initiative to Save Our Climate)[4] . Ces deux scénarios sont cités en références dans le rapport spécial GIEC  SR15.

Sans mesures particulières, le scénario Supply entraînerait un cumul des émissions de 2700 Mds de tonnes de CO2 en 2100, 3 fois plus que la limite fixée par le GIEC, ce qui conduirait à une augmentation de la température moyenne de surface de plus de 5 degrés. Ce scénario est, évidemment, inacceptable. La diminution de la consommation finale proposée par le scénario Efficiency améliore la situation en limitant les émissions cumulées à 1480 Mds de tonnes de CO2, valeur encore beaucoup trop élevée.

Les chercheurs de l’IIASA ont alors introduit massivement la technique de capture stockage du CO2 (CSC) après combustion. Au prix d’un stockage annuel de 24 Mds de tonnes de CO2, le scénario Supply limite le cumul des émissions de CO2 à 1075 Mds de tonnes. La même performance est obtenue avec le scénario Efficiency grâce à un stockage annuel de 15 Mds de tonnes de CO2. Les expériences actuelles de CSC ne dépassent pas quelques millions de tonnes par an, 3 ordres de grandeur inférieures à ce qui serait nécessaire.

Dans sa variante du scénario Supply, le groupe GISOC propose de substituer à la production d’électricité par des centrales fossiles équipées de CSC, celle de centrales nucléaires. Les scénarios de GISOC supposent une multiplication de la puissance éolienne mondiale par 80, de la puissance solaire par 300, et de la puissance nucléaire par 50, le recours aux combustibles fossiles disparaissant en 2060.

Le cumul des émissions de CO2 du scénario Supply-N est alors de 948 Mds de tonnes de CO2, inférieures à celui du Scénario Efficiency avec CSC, alors que la consommation finale autorisée est identique à celle du scénario Supply (soit 755 EJ/an contre 427 EJ/an). La limite de 900 Gt serait pratiquement atteinte. La capture et le stockage du CO2 de l’atmosphère permettrait de ne pas dépasser les 600 Gt exigés pour limiter l’augmentation de température à 1,5 degrés en ayant recours à une gestion appropriée de la biomasse.

Une augmentation de la puissance nucléaire d’un facteur 50 suppose l’utilisation généralisée de réacteurs surgénérateurs (de type Super-Phénix) en 2100 pour éviter l’épuisement des réserves d’uranium[5] . La cadence de construction de réacteurs proposée est de 100 GWe/an entre 2020 et 2040, atteignant 300/an en 2100. Ces chiffres peuvent paraître irréalistes. Et pourtant ... l’exemple français montre qu’ils n’ont rien d’impossible. Pour limiter le réchauffement climatique à une valeur « vivable », il s’agirait, à partir de 2025, de généraliser à l’ensemble des grands pays industriels l’effort entrepris par notre pays entre les années 1975 et 2000 .

Au moment de la décision prise, pour des raisons purement politiques, d’arrêter Super Phenix, la France était la référence en matière de SFR[6]. Cet arrêt eut, évidemment, un effet catastrophique sur les équipes, même si le fonctionnement et les expériences faites sur le prototype Phenix de 250 MW maintinrent une compétence en la matière jusqu’à l’arrêt de ce réacteur en 2010 après 40 ans de bons et loyaux services. Pour que cette extraordinaire compétence ne soit pas entièrement passée par pertes et profits, le CEA entreprit d’étudier le projet ASTRID, dans le cadre du programme international Génération 4. Ce projet a reçu un budget d’environ 600 M€ et a occupé environ 500 ingénieurs et techniciens. Il semble que l’arrêt du programme est envisagé par la nouvelle direction du CEA, signant ainsi le renoncement à maîtriser une technologie qui sera très probablement clé au cours du siècle, au moment où la Russie (qui avait pris le leadership dans le domaine après l’arrêt de Superphenix), l’Inde, et la Chine ont des programmes dynamiques de construction de réacteurs de type SFR.

Cette triste démission de notre pays ne sera qu’un exemple de plus de notre désindustrialisation puisque ASTRID, d’un coût affiché de 5 Mds d’euros aurait été presque complètement réalisé en France, alors que les éoliennes géantes et les panneaux photovoltaïques qui bénéficient d’un financement, annuel celui-là, de 5 Mds d’euros, sont pratiquement entièrement importés. La Cour des Comptes a démontré que les milliards d’euros prélevés sur la facture énergétique des Français pour soutenir la construction d’éoliennes et d’installations photovoltaïques, n’avaient aucune influence positive sur le système électrique de notre pays, au contraire, qu’elles ne diminuaient pas les émissions de CO2 et qu’elles n’encourageaient pas la recherche. Penser qu’il suffirait de consacrer un an de cette gabegie pour permettre à notre pays de rejoindre le peloton de tête dans le développement d’une technologie cruciale pour le contrôle du réchauffement climatique en construisant ASTRID laisse pantois. Espérons que cet abandon stupide sera lui-même abandonné. Dans le cas contraire, ceux qui auront été à la manœuvre porteront une responsabilité écrasante non seulement en ce qui concerne la perte de statut scientifique et industriel de notre pays mais, aussi, en ce qui concerne la disposition d’outils indispensables dans la lutte contre le changement climatique.

 

[2] GEA Scenario database, Version 2.0.2, http://www.iiasa.ac.at/webapps/ene/geadb/dsd?Action=htmlpage&page=regions

[3] 1 EJ=24 Mtep=277 TWh

[4] http://dx.doi.org/10.1504/IJGEI.2017.10000873 et doi : 10.1504/IJGEI.2017.086622.

[5] L’efficacité d’utilisation de l’uranium est 100 fois meilleure avec les SFR qu’avec les REP. Il est alors possible d’exploiter des gisements à très faible teneur, par exemple l’extraire de l’eau de mer. Les océans contiennent 4 milliards de tonnes d’uranium se renouvelant à raison de 20 000 tonnes par an grâce aux apports des fleuves. L’efficacité d’utilisation divise également par 100 le volume de déchets nucléaires.

[6] Sodium Fast Reactor en français : Réacteur à Neutrons Rapides (RNR) refroidis au Sodium. Noter que ces réacteurs produisent 100 fois moins de déchets que les réacteurs à eau pressurisée, et qu’ils ont la capacité de brûler les déchets les plus problématiques (les actinides mineurs).

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