SLC
  • Production d’énergie
  • La Transition Energétique

Version du 8 juillet 2014

Cinq objectifs c’est trop pour une bonne intelligibilité du texte ; de plus ils présentent des incohérences.

 

-          Le premier est le plus important vis à vis des enjeux environnementaux mais aussi sociaux et économiques du dérèglement climatique(réduction de 40% des émissions de GES de 1990 à 2030). Ce devrait être le seul objectif véritable. Si la loi doit afficher plusieurs objectifs, elle doit indiquer très clairement (comme le faisait la loi Grenelle) l’objectif prioritaire.

 

-          Le deuxième (réduction de la consommation énergétique finale de 50% de 2012 à 2050) est non seulement irréaliste mais injustifié puisqu’il devrait s’effacer derrière un objectif de réduction des GES (vraie priorité) à l’horizon 2050 ou derrière l’objectif n°3 sur la réduction de la consommation d’énergies fossiles de 30% entre 2012 et 2030, puisque les émissions de GES sont majoritairement dues à la consommation de ces énergies.

 

-          Un objectif d’augmentation de la part des énergies renouvelables (32% en l’occurrence) dans la consommation d’énergie ne peut être considéré que comme un moyen ; son maintien dans la loi (comme cela a été le cas pour le paquet énergie-climat européen) comporterait un risque de focalisation de moyens financiers très importants sur l’éolien ou le solaire photovoltaïque sans effet significatif sur les émissions de GES. La vraie priorité est la diminution de l’usage des énergies fossiles au profit des énergies décarbonées (EnR surtout thermiques et nucléaire)

 

-          Le passage de la part de nucléaire dans la production d’électricité de 75% à 50% d’ici 2025 va à contre sens de l’objectif n°1. Pour s’en convaincre il suffitd’observer les conséquences de la décision équivalente allemande (abandon de quelque 20 GWe de nucléaire en une dizaine d’années) sur la croissance des émissions de GES : l’arrêt des centrales nucléaires a été compensé par un appel croissant aux centrales thermiques fossiles. De plus  cette réduction n’est pas justifiée dans l’exposé des motifs de la loi et est complètement irréaliste compte tenu des procédures à mettre en œuvre pour ce faire.Sauf à imaginer une croissance significative de la consommation d’électricité (ce qui ne fait pas partie des hypothèses de la loi), la fermeture de un à deux réacteurs par an qui en découlerait aurait des impacts sociaux et économiques très importants. Et l’OPECST concluait dans son rapport sur la transition énergétique : « on ne peut pas prendre des décisions qui engageraient l’avenir de notre pays sur des paris. Avant d’avancer dans le démantèlement de nos forces de production énergétique d’aujourd’hui, il faut vérifier que les promesses en matière d’économies d’énergie se réalisent, et que les ressources alternatives en énergies renouvelables opèrent la substitution attendue, à qualité de service équivalente, et sans plus aucune subvention. »Un mot enfin sur la limite à 63,2 GW de la capacité totale de production nucléaire. Cette disposition est une façon d’imposer la fermeture définitive de Fessenheim avant d’autoriser le démarrage de l’EPR ; non prévue au moment d’autoriser la construction de l’EPR et d’engager les investissements (donc peut-être anticonstitutionnelle ?), cette disposition devrait conduire à indemnisation. Ce point n’est pas évoqué dans l’étude d’impact… Cette façon d’imposer les choix aux opérateurs sera un frein important aux investissements.

 

L’irréalisme du scénario énergétique du projet

 

Le scénario sur lequel s’appuie le projet de loi figure dans l’étude d’impact (p4 à 7) ; il fait l’objet de peu d’explications. Il semble que c’est le scénario ADEME présenté lors du DNTE qui l’inspire majoritairement ; alors que plusieurs scénarios ont été étudiés lors de ce débat, aucune comparaison sérieuse n’est donnée ni la justification du choix de celui-ci.

Ce scénario pose plusieurs problèmes :

-          Il repose sur une croissance faible du PIB et une baisse de la consommation d’énergie incompatible avec une ré industrialisation hautement souhaitable du pays. Si ces hypothèses sont confirmées et conduisent à l’arrêt anticipé de capacités de production d’électricité, cette ré industrialisation sera impossible. Il sera trop tard pour réinvestir.

 

-          Le tableau présenté s’arrête à 2030 et ne permet pas de vérifier que l’objectif de division par quatre des émissions de CO2 à 2050 sera tenu ;

 

-          Ce sont les consommations d’énergie et non les productions qui sont indiquées. Pour l’électricité la différence importante que constituent aujourd’hui les exportations permises par le parc nucléaire n’apparait pas. Si ces exportations devaient s’annuler par hypothèse, cela se ferait au détriment de la balance commerciale française (2 à 3 Mrds€/an). Dommage de se priver de cette capacité ! Si au contraire l’Etat en quête de ressources financières continue à compter  sur un niveau significatif d’exportation, l’objectif de 50% de nucléaire se justifie encore moins.

 

-          Le scénario électrique de 2012 à 2030 n’est pas réalisable ; d’une part l’hydraulique ne peut pas augmenter de 50% comme indiqué car les sites sont quasiment saturés en France ; de plus, si les EnR intermittentes croissent comme indiqué de 1 à 11 MTep, alors que le nucléaire baisse de 29 à 20 Mtep (on n’est donc pas à 50% en 2025 mais on les approche plutôt en 2030…), la production des centrales fossiles (il ne restera plus que des CCG en 2030) ne pourra pas diminuer de 3 à 2 Mtep : c’est physiquement impossible compte tenu de l’intermittence des sources EnR qui vont solliciter plus ces dernières.

 

-          Le scénario établit une croissance nette des emplois de 100 000 en 2020 et 230 000 en 2030 ; comme on aimerait le croire… !

 

Absence d’analyse du coût pour le système d’un passage à 40% de renouvelables dans le mix électrique d’ici 2030

 

La question est ici celle des coûts des EnRs pour le système : (i) coûts intrinsèques  (supérieurs à très supérieurs aux prix de marché) et (ii) externalités pour ce qui est des sources intermittentes, c’est-à-dire des coûts qu’elles engendrent pour le système électrique  pris dans son ensemble. La difficulté est que ces coûts sont disséminés à travers l’ensemble du système et que, tant que le pourcentage des intermittentes dans le mix électrique reste « dans l’épaisseur du trait » – et, avec ses 3,4% elle l’est - , la contribution de l’intermittence est négligeable ; ce à quoi il faut ajouter que cette contribution croît plus que proportionnellement à son pourcentage dans le mix : déstabilisation des marchés, détérioration  de la courbe de charge des moyens de production classiques (Thermique fossile et nucléaire), développement de mécanismes de paiement de capacité pour assurer le secours, nouvelles contraintes pour l’ajustement en temps réel, renforcement des réseaux.

En 2012, les renouvelables ont produit quelque 82 TWh d’électricité, soit 14,5% d’un total de 562 TWh. Eolien et PV ont produit quelque 19 TWh, soit 3,4 % de ce même total. On sait par ailleurs que le potentiel de développement de l’hydraulique est, dans notre pays, limité. L’essentiel de la croissance de la part des renouvelables dans le mix électrique devra donc être le fait des renouvelables intermittentes. Ce qui, dans l’étude d’impact du projet de loi, conduirait à quelque 26% du mix électrique pour ces dernières.

Dans quelle mesure une telle ambition ne risque-t-elle pas de conduire à une augmentation de la facture énergétique du pays et des ménages qui irait très au delà de la baisse attendue de la facture grâce aux économies d’énergie (comme le souhaite la ministre) ? Nous l’espérons tous, mais faut-il pour autant y croire ? Etc.

 

Ici, un regard sur l’expérience allemande –où la contribution des sources intermittentes est aujourd’hui voisine de l’objectif visé par la ministre -  n’est pas inutile : un prix de l’électricité de l’ordre du double de ce qu’il est en France, des coûts de réseau largement supérieurs à ce qu’ils sont en France, un soutien direct aux EnRs qui en 2013 atteignait les 24 milliards d’€, une augmentation de la contribution du secteur électrique aux émissions de GES etc.

 

Une rénovation thermique qui, pour être efficace, suppose que ses objectifs soient précisés.

 

Le projet de loi mise beaucoup sur un grand plan de rénovation des logements. C’est une bonne orientation. Mais c’est plus souvent l’efficacité énergétique qui est visée que l’efficacité environnementale donc la réduction des émissions de GES. Rien ne permet de penser que la RT 2012 sera modifiée (définition d’une performance CO2). Or le gaz s’impose désormais massivement dans la construction neuve (80% des nouveaux logements), au détriment des solutions décarbonées (pompes à chaleur, géothermie, solaire thermique, biomasse), d’où une contribution croissante aux émissions de CO2 contraire aux objectifs.

Aucune indication d’une volonté de lancer prioritairement les actions les plus « rentables » dans l’existant, comme proposé par l’UFE : par exemple action prioritaire sur les logements chauffés au fuel. Vision très ADEME avec obligations lors des reventes et travaux de ravalement ; grand flou sur les aides [2].

Rien sur le potentiel de l’électricité pour réduire les émissions de CO2 dans la construction (pompes à chaleur, chauffage hybride gaz/électricité) et pour contribuer à la flexibilité (effacement, chauffage hybride).

Les bâtiments publics seront obligés d’être « exemplaires énergétiquement »  à partir de 2016 (exemplarité définie par un décret) et non plus à énergie positive : un début timide de sagesse mais sur un concept parfaitement flou.

L’exemplarité et les objectifs des constructions neuves seront définis par décret : une véritable usine à gaz fonction de la nature des bâtiments alors que la Commission d’évaluation des normes dénonce « la folie normative ».

Le pilotage de l’efficacité énergétique sera largement régionalisé avec mission de conseil, information de nature technique et financière (invention d’un « Service public de l’efficacité énergétique de l’habitat »). Un texte bien creux pour un des challenges les plus importants avec le transport : on ne voit pas apparaitre une stratégie essentielle de renforcement :

-           des deux secteurs industriels des équipements et matériaux au niveau national

-          et de la technicité des entreprises de construction.

Le rôle des entreprises est absent du document.

 

Une proposition de financement qui, si l’on n’y prend pas garde, risque de se tromper d’objectif.

 

On se contentera d’attirer l’attention sur un sophisme largement répandu dans l’opinion et qui veut que l’énergie la moins chère soit celle qu’on ne consomme pas. Il ne s’agit pas de contester le bien fondé d’une politique ambitieuse d’économies d’énergie mais de rappeler qu’une économie d’énergie n’a de sens que si elle rapporte (en énergie économisée) plus qu’elle ne coûte (en investissement). C’est la condition incontournable pour que l’important plan de rénovation des logements trouve ses « tiers financeurs », option forte fixée par le projet de loi. Or les coûts unitaires de rénovation qu’on observe sur le marché, donc aussi les temps de retour sur investissement, sont bien supérieurs aux hypothèses figurant dans l’étude d’impact.

Plus généralement, c’est l’objectif d’une réduction de la consommation d’énergie de 50% d’ici 2050 qui est contestable. Priorité absolue devrait en effet être donnée à la diminution des émissions de GES – ce qui va avec la baisse de la consommation des combustibles fossiles et la réduction de la facture énergétique extérieure.

S’il est abondamment répété dans le texte de loi que les technologies déployées tiendront compte des performances économiques et environnementales, ces deux critères ne sont pas précisés. D’une part on ne voit pas apparaitre de critères sur les investissements (par tonnes de CO2 sur la vie de l’installation) ou le coût de la tonne de CO2 économisée. D’autre part la notion de performance environnementale, très floue, complexe et permettant tous les abus médiatiques, remplace la notion utile d’émissions de GES évitées.

 

Plusieurs bonnes propositions, mais qui mériteraient d’être plus amplement développées.

 

Nous avons relevé quelques dispositions intéressantes dans le projet présenté par le gouvernement :

 

-          le programme d’installation de prises de recharges pour véhicules électriques est ambitieux ; il vise 7 millions de prises en 2030. C’est une condition importante pour le développement des VE. On peut regretter l’absence de mesures d’ordre industriel et de recherche pour favoriser ce développement. Et l’objectif de 10% d’EnR dans la consommation énergétique finale du secteur transport en 2020 (les biocarburants en font partie) paraît, lui, peu ambitieux et insuffisant pour atteindre la réduction de 30% de la consommation de combustibles fossiles d’ici 2030

-          le développement de l’économie circulaire est intéressant car source d’économie de ressources dont l’énergie. Mais une meilleure visibilité sur ce qu’on attend des mesures serait souhaitable. Notons que l’arrêt anticipé de centrales nucléaires ne participe pas d’une économie circulaire bien comprise…

-          le titre V sur les EnR comporte la mise en place des contrats d’achat « marché + complément de rémunération », qui vont inciter les producteurs à adapter leurs modes de production aux conditions de marché et à viser une meilleure intégration de leur production, surtout si, comme le prévoir le projet de loi, ce complément sera fonction des coûts d’intégration au système. Reste que les contrats d’achats déjà signés sont irréversibles avec leurs conséquences sur l’envol de la CSPE

-          les « budgets carbone » sont une bonne déclinaison de la priorité accordée au premier objectif de réduction des émissions de GES. Ils vont permettre de décliner secteur par secteur cet objectif et en suivre la réalisation. On verra alors si les mesures adoptées sont suffisantes. La stratégie attendue prévoit de fixer une valeur tutélaire au carbone ; il est dommage que le gouvernement ne soit pas allé plus loin en mettant en place une fiscalité carbone se substituant progressivement à la taxation du travail.

-          L’étude d’impact évoque des « tarifs réglementés à effacement » : le texte de loi mériterait de proposer une modification des tarifs Tempo pour une électricité de chauffage effaçable 



[1] Nous disposons, outre du projet lui-même (NOR : DEVX14139921), du texte de présentation de ce projet (NOR :DEVX14139921/Rose1) et de la transcription de la conférence de presse de la ministre Royal.

[2] Pour mémoire la Cour des comptes avait relevé que les aides (y compris CSPE) étaient beaucoup plus élevées pour les EnR électrogènes que pour l’énergie chaleur

COMMUNIQUES

Imprimer