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                                                                        Madame Eva Joly

                                                              Présidente d’Europe Ecologie Les Verts

 

 

                        Paris, le 30 avril 2012

 

 

Chère Madame,

 

Merci d’avoir pris le temps de répondre longuement à notre appel aux candidats.

Manifestement nous ne sommes pas en phase, mais compte tenu du fait que nos préoccupations sont largement communes nous souhaitons répondre point par point à vos objections.

Permettez-nous tout d’abord de vous rappeler que « Sauvons le Climat » est une association totalement indépendante et que ce n’est pas parce qu’elle estime que le nucléaire est, dans l’état actuel des choses, nécessaire pour fournir en suffisance et à prix raisonnable l’énergie décarbonnée dont nous avons besoin que nous appartenons pour autant à un quelconque lobby. Nous sommes certainement bien plus éloignés de l’industrie nucléaire que nombre de ceux qui préconisent le développement des usages du gaz le sont de lobbies gaziers…

Dès le 2ème paragraphe de votre courrier vous laissez entendre que nous balayons d’un revers de la main la catastrophe de Fukushima. La seule chose que nous disons dans notre appel est que la catastrophe ne semblait pas avoir eu un grand effet sur le développement de la production nucléaire dans le monde. Alors qu’il s’agit d’une vérité facile à vérifier, vous préférez nous reprocher de ne pas nous soucier des conséquences humaines de cette catastrophe, catastrophe qui se situe d’abord, vous le reconnaissez, au niveau de l’angoisse des populations. On aurait donc pu penser que votre tâche prioritaire aurait du être de contribuer à rassurer. Ce ne fut apparemment le cas…

Vous défendez l’Allemagne qui refuse « l’arbitrage réducteur entre risque climatique et risque nucléaire ». Comme vous ne pouvez nier que les allemands émettent 70 % de plus de CO2 par tête que les français vous changez de thermomètre et arguez du fait qu’en intégrant les autres gaz à effet de serre ils font mieux que les français puisque la différence tomberait à 32% pour l’ensemble. Ce raisonnement nous semble à la limite de l’honnêteté intellectuelle puisque, pour diminuer l'impact de l’avantage français dans le domaine des émissions de CO2 vous appelez à la rescousse les émissions de méthane et d’oxyde d’azote provenant de l’agriculture et des déchets. Il est vrai que dans ce secteur la France fait plutôt plus mal que l’Allemagne, mais votre manipulation - quelque peu grossière- revient surtout à additionner une quantité constante à deux nombres différents ce qui diminue leur rapport[1].

Vous poursuivez en disant que la comparaison des émissions en termes absolus a peu de sens. C’est évidemment absurde car cela revient à dire que les meilleurs élèves sont ceux qui ont les émissions les plus fortes puisqu’il est bien évident que, dans ce cas, il est beaucoup plus facile d’améliorer les  performances… Ce refus de voir les réalités qui contredisent vos désirs est malsain. Les Allemands affirment vouloir  réduire le niveau de leurs émissions de 40% en 2020. S’ils  avaient fait le choix du nucléaire plutôt que celui du charbon cet objectif aurait été atteint depuis longtemps… De plus, ils auraient évité de provoquer 10.000 décès annuels prématurés provoqués par la pollution atmosphérique due aux centrales à charbon[2].

Vous abordez ensuite le cas du Japon. Le Japon est, évidemment, dans la difficulté pour avoir arrêté pratiquement tous ses réacteurs nucléaires. Il est contraint d’importer des quantités considérables de fioul et de gaz pour alimenter ses vieilles centrales thermiques. Mais il faut bien oser poser la question : pourquoi avoir arrêté aussi brutalement toutes ses centrales sinon par affolement. Et on touche là au vrai problème du nucléaire : la peur irraisonnée et les réactions hystériques de panique  qu’il provoque et que vous et vos amis entretenez au delà du raisonnable. 

Conformément au discours habituel vous revenez ensuite sur la faible contribution du nucléaire à la consommation énergétique finale. Permettez-nous de vous faire remarquer que le nucléaire ne peut évidemment pas être considéré comme une énergie finale. C’est une énergie primaire au même titre que le charbon ou le gaz quand ils servent à produire de l’électricité. En terme d’énergie primaire le nucléaire représente 6% du total mondial, l’hydraulique 2%, le charbon 25%, le gaz 21%, le pétrole 33% et les renouvelables autres que le bois (éolien, solaire, géothermie, énergies marines) environ 1%. Si on considère que le nucléaire représente une part si faible qu’il est inutile de le développer ou de le conserver, que ne pourrait-on dire autant des nouvelles énergies renouvelables (éolien, photovoltaïque….) ?

Vous prétendez que les investissements du nucléaire sont trop lourds pour que son développement soit possible. La France a montré que c’était faux en construisant son parc en une vingtaine d’années[3]. Par ailleurs, pour produire 7 TWh/an (soit la production d’une centrale de 1 GWe avec un facteur de charge de 80%) l’investissement dans des réacteurs modernes est de l’ordre de 3 G€, l’investissement dans l’éolien terrestre de 5 G€, celui dans l’éolien off shore aux environs de 11 G€, celui dans le photovoltaïque aux environs de 16 G€. Il faut ajouter que les énergies intermittentes n’évitent pas la nécessité de fournir du courant quand il n’y a pas de vent ou pas de soleil et que ce courant, il faut bien le produire

 

Après cette introduction en forme de mise en accusation vous consentez à examiner nos demandes. Vous voulez nous faire dire ce que nous n’avons jamais dit, à savoir qu’il suffirait de développer l’électricité décarbonée pour « sauver le climat »[4]… Vous reprenez ensuite l’antienne sur la faible importance de l’électricité (24%) pour faire face aux besoins des Français. Permettez-nous de vous demander de quels besoins il s’agit et de vous rappeler que la seule manière à peu près correcte de les estimer est de décompter les besoins d’énergie utile. Vous constaterez alors que le rendement d’usage de l’électricité est généralement excellent (environ 80% pour le chauffage, l’électroménager, l’électronique…), mais qu’au contraire le rendement des moteurs thermiques équipant nos voitures est de l’ordre de 30%. De même l’efficacité moyenne des systèmes de chauffage utilisés actuellement est de l’ordre de 40%[5]. Si on tient compte (approximativement car ce calcul est rarement fait) de ces efficacités, l’électricité couvre 36% des besoins énergétiques actuels, autant que le pétrole. Là encore on constate que vos « économistes » utilisent des concepts qui les arrangent ! 

Vous nous posez la question de savoir pourquoi en dépit de l’importance de notre secteur nucléaire, nous devrons encore diviser nos émissions de plus de 75 % d’ici à 2050. La réponse est assez simple : l’essentiel de nos émissions proviennent des transports (que l’on pourra électrifier) et du chauffage (actuellement seulement 30% du parc immobilier est chauffé par l’électricité). Nous vous suggérons à cet effet de consulter notre scénario Négatep qui décline économies d’énergie, développement des énergies renouvelables et du nucléaire pour arriver à une division par 4 des émissions de CO2 en 2050 tout en maintenant le niveau actuel de consommation énergétique. Ce scénario se caractérise par son réalisme, et n’oblige pas comme celui de Negawatt qui vous sert sans doute de référence, à diviser par près de 3 la consommation primaire sans pour autant proposer de solutions satisfaisantes à la question de l’intermittence de l’éolien et du solaire.

A l’instar de ce scénario Negawatt, vous vous voyez contrainte de donner un rôle important aux centrales à gaz pour faire face à l’intermittence des énergies renouvelables. Nous nous permettons de vous rappeler que ces centrales, qui émettent du CO2 pendant leur fonctionnement, sont aussi responsables d’émissions de méthane (23 fois plus efficace que le CO2 pour l’effet de serre) au cours de l’extraction et du transport du gaz, et qu’elles laisseront la France dépendante d’importations qui alourdiront notre déficit commercial (d’au moins 50 G€) à moins que l’on se résolve à exploiter le gaz de schiste. Mais la encore vos amis sont pris dans leurs contradictions : gaz russe ou gaz de schiste ?

Pour le chauffage, nous proposons de décourager l’usage du fioul et du gaz. Vous proposez un vaste programme de rénovation thermique. Ce n’est pas contradictoire, mais il faudrait en chiffrer le coût. Par contre, vous ne parlez pas du chauffage. Il nous semble qu’en la matière vos amis font preuve d’un certain réalisme technologique qui aboutit à remplacer largement, pour la production d’électricité, le nucléaire par du gaz et non par des énergies renouvelables intermittentes. Nous avons toujours soutenu que la sortie du nucléaire impliquerait un recours accru au gaz, et, donc à une augmentation des émissions de CO2. Désormais, les éléments du choix sont clairs et nous vous remercions d’avoir permis cette clarification.

Pour l’électrification des transports il semble qu’un accord entre nous soit possible.

Nous ne pouvons finalement que regretter que vous cherchiez à transformer Sauvons le Climat en simple défenseur du nucléaire et nous demandons dans quelle mesure vous ne soutenez pas  le fichage stupide et dangereux réalisé par Greenpeace[6]… Merci cependant d’accepter que « certains d’entre nous » puissent être de sincères défenseurs du climat.

Vous nous invitez au dialogue. Nous sommes prêts à répondre positivement et vous proposons, dans un premier temps, d’organiser un séminaire commun sur les dangers réels ou supposés de la radioactivité. C’est à partir de là que la question du nucléaire qui vous préoccupe tant pourra enfin être abordée de façon rationnelle et raisonnable.

 

Veuillez agréer, chère Madame, l’expression de nos bien sincères salutations.

 

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[1]Par exemple, supposons que dans le secteur de la production électrique les habitants du pays A émettent 6 tonnes de CO2 par tête et  ceux du pays B 10 tonnes, soit un rapport 1,66. Supposons que du fait des émissions non liées à la production électrique chaque habitant des deux pays émettent 3 tonnes de CO2 (équivalent), le rapport entre les émissions par tête des deux pays devient (10+3)/(6+3)=1,44.

[2]Voir www.sauvonsleclimat.org/etudeshtml/les-dangers-du-charbon/35-fparticles/950-les-dangers-du-charbon.html

[3]Essentiellement alors que la Présidence de la République était assurée par un socialiste…

[4]A nos yeux la recherche de l’efficacité énergétique, la « décarbonation » de la production de chaleur aussi bien dans l’industrie que dans le résidentiel et le tertiaire, et celle des transports (biocaburants de deuxième génération, voitures électriques ou hybrides électriques, transports publics « propres » sont tout aussi nécessaires que la « décarbonation »  de l’électricité. En même temps la « décarbonation » de  la production de chaleur et  des transports passe très souvent par un recours accru à l’électricité.

[5]Les chaudières à gaz à condensation modernes font beaucoup mieux mais sont encore peu répandues

[6]Voir  notre analyse sur ce fichage honteux

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