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Contenu en CO2 du chauffage électrique

Une récente annonce de RTE et ADEME sur le contenu en CO2 du kWh électrique[1], contredisant une étude d’EDF et ADEME de 2005,[2] a semé le trouble dans les esprits et a été reprise par les antinucléaires comme la preuve que le nucléaire contribuait peu à la lutte contre le réchauffement climatique. Cette controverse a fait l’objet d’articles dans la presse, notamment un article de Jean-Michel Bezat dans le Monde du 22 décembre 2007.

 

Les thèses en présence

La note de cadrage publiée par l’ADEME en janvier 2005, dont les résultats sont rappelés dans la note de 2007 aboutissait à 4 indicateurs « reflétant la situation de fonctionnement du système électrique français constatée en moyenne sur les années 2000 à 2004» :

 

 

Chauffage

Eclairage

 

Usages intermittents

Usages base

Moyenne France

g CO2/kWh

180

100

60

40

70

 

Ils « permettent un bouclage comptable des émissions attribuées à chaque usage », autrement dit, quand on multiplie les énergies consommées pour chacun des 4 usages par les indicateurs respectifs et que l’on fait la somme, on trouve bien les rejets totaux de CO2 du système électrique français  (environ 35 Mt CO2 par an).

 

Selon la nouvelle étude de l’ADEME, la méthode utilisée en 2004, si elle reflète bien le passé, n’est pas adaptée à une vision prospective car elle n’intègre « ni une évolution future du contenu en carbone de l’électricité ni les émissions évitées par une production d’électricité d’origine non renouvelable ».

 

Il est proposé une nouvelle méthode qui aboutit aux valeurs suivantes :

 

 

Chauffage

Usages intermittents et éclairage

Usages en base

g CO2/kWh

500 à 600

600 à 700

450 à 550

 

La note poursuit « Cette méthode est proposée pour calculer les émissions évitées par les actions de maîtrise de l’électricité ou par la production d’électricité d’origine renouvelable. » Et plus loin (toujours souligné) «Le contenu marginal prospectif 2020 [qui]passerait de 500 en 2007 à 400 g de CO2 par kWh pour des usages en base en 2020. »

 

Ainsi, par ce qui ressemble à un tour de prestidigitation, les usages de l’électricité voient d’abord leur contenu en carbone multiplié par 3 (chauffage) à plus de 10 (intermittents et base), puis les politiques mises en œuvre pour économiser l’électricité et la produire avec les éoliennes permettraient de réduire ces chiffres de 20 % !

 

Comment expliquer de telles différences ?

Les différences sont à première vue stupéfiantes, d’autant plus que la note de 2007 ne cherche pas à les expliquer mais note simplement que « l’ADEME et RTE proposent, sous l’égide du MEDAD et en concertation avec les acteurs du secteur électrique de concilier ces différentes approches. »

Deux petites phrases semblent donner la clé :

  • « Les échanges d’électricité entre pays étant considérés totalement fluides [ ], les chiffres qui en ressortent tiennent compte de la composition du parc de production européen. »[3]
  • Les moyens de production sont affectés selon la règle du « merit order », c'est-à-dire par ordre de coût de production croissant.

Cela veut dire que l’hydraulique et le nucléaire (français et européens) assurent la base de  la base pour l’ensemble de l’Europe, suivis par les centrales au charbon, au gaz….Mais comme l’ensemble hydraulique + nucléaire ne représente que 40 % de la production, soit largement  moins que les besoins de base (de l’ordre de 60 %), les économies d’électricité et les électricités renouvelables ne se substituent jamais qu’à de l’électricité fossile[4]. Ceci explique que  les valeurs par kWh affichées plus haut soient largement supérieures aux valeurs moyennes européennes (450 à 700 g CO2 par kWh contre 340).

 

Critique

La première critique est que l’hypothèse de départ – la totale fluidité du système électrique européen – est grossièrement fausse. Les interconnexions sont dimensionnées pour apporter des secours mutuels limités en gros à 10 % des consommations[5] et les responsables des réseaux ont beaucoup de peine à construire de nouvelles lignes.

La deuxième critique est plus politique. Il  est certain que vu du niveau européen, il serait bien qu’une éolienne construite en France permette de réduire la production d’électricité fossile ailleurs en Europe, faute de pouvoir le faire en France. Idem pour les économies d’énergie. On pourrait d’ailleurs dire la même chose de l’EPR de Flamanville et de tout nouveau projet nucléaire en France. Mais la France a-t-elle vocation à être le château d’eau nucléaire et hydraulique de l’Europe ?

 

Les mérites de l’étude

L’étude ADEME – RTE a le mérite de mettre en évidence ce que seraient les conséquences, en France et en Europe, d’un système électrique européen totalement fluide et ouvert à la concurrence.

  • Pour la France,
    • Une hausse globale des prix de l’électricité, puisque la moitié environ de sa production nucléaire serait exportée et compensée par de l’électricité « fossile » sensiblement plus chère. Pour se convaincre que les choses se passeraient bien comme cela, il suffit d’observer les effets sur le marché dérégulé d’une concurrence encore très limitée.
    • Une incitation à construire des centrales au gaz ou au charbon dans un marché rendu concurrentiel[6] : comme l’a fort bien écrit Marcel Boiteux[7], « Avec la suppression des tarifs régulés que demande Bruxelles, il ne s’agit donc plus, comme on pouvait le croire initialement, d’avoir la concurrence pour faire baisser les prix, mais d’élever les prix pour permettre le concurrence. »
    • Une forte augmentation du contenu en CO2 du kWh consommé en France.
  • Pour l’Europe
    • Une baisse des prix de l’électricité rendue possible par l’importation de l’électricité française
    • Pour la même raison, une baisse du contenu en CO2 du kWh consommé.

Les consommateurs français apprécieront !

 

Dernière remarque : en toute logique, le contenu élevé en CO2 du kWh  devrait conduire globalement l’Europe à augmenter la part des sources d’électricité ne rejetant pas de CO2. Par ordre de mérite : les économies d’électricité (pour autant qu’elles ne soient pas remplacées par des énergies rejetant du CO2), le nucléaire et, loin derrière, les électricités renouvelables autres que l’hydraulique (l’hydraulique étant déjà exploité au maximum de ses possibilités). Il n’est pas sûr que « Sortir du nucléaire » ait bien perçu cela lorsqu’il s’est réjoui des conclusions de l’étude ADEME – RTE.

 

Le 15 janvier 2008

Pierre Bacher, auteur de « L’énergie en 21 questions » (Odile Jacob, 2007)


[1]                « Le contenu en CO2 du kWh électrique : Avantages comparés du contenu marginal et du contenu par usages sur la base de l’historique » - note courte du 04/10/2007 - RTE - ADEME

[2]                ADEME – Note de cadrage sur le contenu CO2 du kWh par usage en France – 14 janvier 2005

[3]              Autrement dit, un kWh produit n’importe où en Europe peut être consommé n’importe où en Europe, sans problème de moyen de transport.

[4]              Alors que dans le système électrique français, le kWh électrique « chauffage », par exemple, provient à 50 % du nucléaire, 25 % de l’hydraulique et 25 % seulement de centrales fossiles.

[5]              La totalité des interconnexions de la France avec ses voisins permet une puissance de 13 GW, selon RTE.

[6]              Tendance qui s’observe déjà tant chez EDF que chez SUEZ et quelques autres.

[7]              Marcel Boiteux -    Futuribles (2007)

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