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note de lecture de
François-Marie Bréon
Laboratoire des Sciences du Climat et  de l’Environnement

sur

“L’innocence du carbone : l'effet de serre remis en question” de François Gervais

 

 

Cette “note de lecture” est parue dans le journal La Météorologie de Novembre 2013.  Nous en reproduisons ici une version légèrement différente, avec l’autorisation de l’auteur.

 

J’ai hésité à écrire cette note de lecture, ne voulant pas prendre le risque de donner la moindre publicité à ce livre. Mais, à l’occasion de sa sortie et aussi de la publication du rapport du GIEC (en fait, uniquement le résumé des travaux du groupe 1), François Gervais a été largement invité dans les médias et l’on trouve son livre en tête de gondole. Il me paraît donc important d’apporter un éclairage contradictoire aux thèses qui y sont développées.

L’auteur est professeur de physique, retraité de l’Université de Tours. On est donc en droit de s’attendre à une certaine rigueur dans les développements, les analyses ou les références scientifiques. Rien de tout cela dans le livre. Il est d’ailleurs symptomatique que l’auteur cite abondamment la littérature scientifique, ou plutôt en donne l’apparence, mais sans donner de liste bibliographique. Au lecteur de chercher à quoi correspondent les références citées. J’ai fait cet effort lorsque les affirmations me paraissaient surprenantes, et ce fut souvent en vain.

On trouve trois thèses principales dans le livre: l’augmentation du CO2 atmosphérique est, pour l’essentiel, causée par des processus naturels et non pas la conséquence des émissions anthropiques ; l’effet de serre dû au CO2 est pratiquement saturé et toute hausse des concentrations ne peut pas conduire à une hausse significative des températures de surface ; la température de la Terre sur les 150 dernières années peut s’expliquer par une lente augmentation à laquelle se superpose un cycle de 60 ans, tous deux liés à des processus naturels qui n’ont rien à voir avec les activités humaines. Ce sont là des thèses qui sont en totale contradiction avec le consensus et la littérature scientifique, et absolument pas crédibles au vue des arguments présentés par l'auteur. Développons l’analyse de ces trois thèses :

L’auteur nous présente une courbe mettant en parallèle l’accroissement annuel du CO2 atmosphérique et la température moyenne de la Terre. On y voit une assez bonne corrélation. Par ailleurs, l’auteur explique que les variations du CO2 suivent les températures d’environ 6 mois (analyse faite sur des moyennes annuelles…). Il en déduit donc que le CO2 atmosphérique est piloté, non pas par les émissions humaines, mais par la température et que c’est le dégazage de l’océan qui génère la hausse des concentrations observées. Pour lui, la part humaine de l’accroissement du CO2 atmosphérique doit être estimée sur la base du minimum observé d’accroissement annuel (en 1992). Dans cette analyse, François Gervais démontre une méconnaissance absolue du cycle du carbone. Il semble oublier que on connaît assez précisément (mieux que 10%) les émissions humaines de CO2 dues à la combustion des énergies fossiles et de la déforestation et qu'on observe une augmentation de la quantité de carbone dissous dans l’océan, ce qui réfute, s’il en était besoin, son hypothèse d’un dégazage de l’océan. La corrélation entre température et taux d'augmentation du CO2 est bien connue et expliquée par les alternances El Niño/La Niña qui influencent les températures moyennes et les précipitations dans les régions tropicales, avec un impact sur les échanges de carbone entre la biosphère continentale et l’atmosphère (Zeng et al., 2005). Cet effet ne remet absolument pas en cause le fait bien établi que ce sont les émissions humaines qui sont la cause de l’augmentation des concentrations atmosphériques de CO2. L’interprétation faite dans l’innocence du carbone est donc grossièrement incorrecte, et néglige un corpus de connaissance bien établi.

L’auteur dit être un spécialiste de l’effet de serre ; c’est même une de ses thématiques de recherches d’après son CV en ligne à l’Université de Tours. Dans l’innocence du carbone, il décrit le transfert radiatif sur les premières dizaines de mètres de l’atmosphère et en déduit que (i) l'effet de la vapeur d’eau est prépondérante, (ii) l’absorption par le CO2 est saturée et (iii) toute hausse supplémentaire des concentrations de CO2 aura un impact négligeable sur l’effet de serre. Il semble ne pas savoir que les échanges d’énergie dans l’atmosphère se font beaucoup par convection dans les basses couches de l’atmosphère, alors que les échanges radiatifs sont prépondérants plus haut. Sa démonstration concernant l’absorption du rayonnement infrarouge sur les premières dizaines de mètres n’a donc aucun sens. L’absorption atmosphérique par le CO2 peut se mesurer en laboratoire ; l’effet de serre dû au CO2 peut s’observer sur les mesures acquises par satellite, il est parfaitement compris et modélisé (Dufresne et Treiner, 2011). L’effet de serre dû au CO2 n’est absolument pas saturé. Dans ce contexte, il est plus que surprenant que l’auteur nie cette connaissance accumulée depuis deux siècles et mette en cause les estimations d’augmentation de l’effet de serre en conséquence à la croissance des concentrations de CO2.

De même, l’auteur interprète la série temporelle de température moyenne de la Terre via un simple ajustement linéaire associé à un cycle de 60 ans. La tendance à la hausse des températures serait un simple réajustement des températures suite au “petit âge glaciaire” de l’époque pré-industrielle dont l’origine serait un soleil faiblard. Quand au cycle de 60 ans, il serait lié à la position du soleil par rapport au centre de masse du système solaire. C’est donc l’alignement des planètes qui piloterait le climat de la Terre. L’astrologie peut donc être appliquée au climat… Bien évidemment aucun mécanisme physique ou tentative de quantification n’est proposé. Le cycle de 60 ans est maintenant à son maximum, et l’auteur peut donc affirmer que la Terre va se refroidir. François Gervais se permet donc de rejeter, ou plutôt d’ignorer, plusieurs siècles d’avancées scientifiques sur l’effet de serre, l’analyse des paléo-climats et la compréhension du système climatique.

On peut avoir une lecture bienveillante de ces élucubrations, et penser que l’auteur a voulu faire trop vite et donner une vision personnelle d’un sujet qu’il ne maîtrise pas. Cependant, une analyse des figures qui accompagnent son ouvrage montre qu’il y a une volonté de désinformation. Sur chacune des courbes montrées, la période temporelle est choisie pour faire passer un message qui est opposé à celui que l’on obtient avec la série temporelle complète. C’est manifeste pour la glace de mer dont la surface est montrée uniquement sur la période 2007-2012, alors que 2007 était un minimum très marqué par rapport aux années précédentes. J’ai pu faire une analyse similaire pour toutes les figures de l’ouvrage, mais que je ne détaille pas ici par manque de place.

Il est plus que regrettable qu’un professeur d’université abuse ainsi le grand public. Les ouvrages de ce type ne peuvent qu’affaiblir la confiance du public envers la science. Ce livre doit donc être combattu et son auteur mis à l’index de la communauté scientifique. Nous avons tous droit à proposer des théories alternatives et même à faire des erreurs, mais l’auteur est dans cet ouvrage bien au-delà de cela.

Références :

Zeng, N., A. Mariotti, et P. Wetzel(2005), Terrestrial mechanisms of interannual CO2 variability, Global Biogeochem. Cycles, 19, GB1016, doi:10.1029/2004GB002273.

Dufresne J.-L., et J. Treiner (2011), L'effet de serre atmosphérique: plus subtil qu'on ne le croit! La météorologie,. 72, pp. 31-41. (article disponible sur le site de Sauvons Le Climat : http://www.sauvonsleclimat.org/etudeshtml/leffet-de-serre-atmospherique-plus-subtil-quon-ne-le-croit/)

 

Vous trouverez des précisions sur la façon dont François Gervais désinforme ses lecteurs, dans une analyse par François-Marie Bréon sur le site de l'Argonaute : http://www.clubdesargonautes.org/livresetpublications/ouvrage.php

 

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